mercredi 10 mars 2010

Sur la pointe des mots



Sur la pointe des mots, les poètes s’en vont sans déranger les médias. Sans doute très très peu de journalistes sacrifieront quelques lignes pour évoquer le grand départ de Gabriel Cousin le 19 février, après celui récent de Serge Wellens. Pourtant il a belle œuvre derrière lui, une vingtaine de recueils de poésie et une quinzaine de pièces de théâtre, du temps du Grand TNP de Jean Vilar. Pourtant cet ancien ajusteur, entré à l’usine à 13 ans, cet ancien très grand sportif spécialiste des 400 et 800m, ce militant de la cause humaine, compagnon de René Dumont, avait tracé un sillon poétique très original, se moquant des jeux formalistes de nombreux courants souvent sclérosants.
C’est Michel Baglin qui avait préfacé « Dérober le feu » paru en 1998 Au Dé Bleu, qui, à mon sens, définit le mieux son travail : Sa poésie n’est pas celle de quelqu’un qui se cherche au travers de ses différents visages, comme il est fréquent dans un univers social qui morcèlle, fragmente, réduit l’individu. Elle laisse au contraire l’impression d’un homme qui s’accomplit en s’unifiant et fait bloc parce qu’il fait front. Ce qu’il a vécu, subi, et contre quoi il s’est battu paraît l’avoir rassemblé, avoir densifié son être et sa parole...Le corps, qui devient chez lui support de valeurs, est une donnée première…Il cultive sa gourmandise du palpable, du biologique, du palpitant, érotise son rapport à l’univers : Toute vérité, comme toute émotion, pour lui est incarnée.
Lui-même disait : Le poème est un acte charnel, sensuel et émotionnel, avant d’être une production cérébrale.
Alors lisons celui qui, jeune ouvrier, avait dérobé le feu, en achetant son premier livre.

La grande librairie

Après avoir hésité longtemps, j’avais choisi la
plus grande pour être moins remarqué.

Jeune ouvrier, il m’avait fallu tant de courage
Pour oser entrer.

Comme un voleur, j’achetai mon premier
Livre au rayon occasions.

Je dérobais le feu.

La chaleur de son corps


Je rêvais appuyé sur ma table, lorsqu’elle vint
Par derrière et me prit dans ses bras.

La chaleur de son ventre sur mes reins, le
Moelleux de ses seins contre mon dos, le désir
de ses mains sur ma poitrine m’envahirent.

Son souffle s’effilait sur ma nuque. Son cœur
Résonnait et se confondait avec le mien.

Nos corps devinrent vivants
Bien plus tard, alors que le travail me harcelait
que la ville me piégeait et que la fatigue
s’épanouissait comme une ivresse, je sentais
encore son corps moulé au mien.

Cela me réchauffait sous la pluie comme un
Soleil posé sur mon dos.

Première rencontre


Un après-midi où l’hiver marchait encore sur
les pavés de la rue, j’aperçus dans l’équipe
féminine de basket, une inconnue.

Un jeune bouleau frémissant de ses premières
feuilles, une tête vive sous un petit bonnet.

Le soleil entrait dans son sourire. Le rire
sortait de ses yeux. Elle avait les jambes fines
et les mains fuselées.

Je demandai son nom. Nos regards se croisèrent.

Peu après je partis pour la guerre.

Elle n’est plus sortie de ma vie.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Un commentaire ?