samedi 29 novembre 2014
mardi 25 novembre 2014
La machine à coudre/2
Ce 26 juin 1960, Julien Schepens avait gagné à la
maison. Démarré de Lille, le Tour sous maillots nationaux et régionaux, s’était
fendu d’une boutonnière en Belgique. Dès la seconde étape, en remettant la
montre à l’heure hexagonale, Roger Rivière avait remonté les cocoricos. Cette
année-là, c’était un parcours pour géants, avec du 6 au 14 juillet un froncement
Pyrénées Alpes culminant à l’Izoard. Une carte drôlement coton à piquer à la
machine.
Maman roulait tranquille, quand j’arrivais, au
quatre-heures, allumer la loupiotte de la TSF. Dans les lacets il fallait monter le volume
des reporters à moto. Alors, je voyais maman, probablement pour couvrir
les crachotements, appuyer sur son pédalier et relancer violemment sa machine.
Comme si elle voulait s’échapper, couper en première le fil. Elle enfilait les
virages à épingles, montait allègre bords-côtes et cols. J’aurais pu oser : va-y maman, fronce !
Ce 10 juillet 1960, elle avait mis le couvercle verni
sur sa monture. Tout au long du Perjuret, les coureurs avaient dû ouvrir un
Gois dans la marée des cris et drapeaux. Je n’avais d’oreille que pour le
second du classement général Roger Rivière que toute la France revêtait de jaune à
Paris. C’était un dimanche, maman se distrayait au jardin. Je suis sorti en
courant troubler son jour de repos : Rivière
est tombé dans le ravin, il est blessé.
A la fin août, j’ai rangé mes coureurs en métal et ma
collection de buvards avec celui lancé, lors du tour précédent, par la caravane
publicitaire sur lequel, une petite fille clamait On peut tout faire avec Singer. Alors j’aurais aimé que maman me
coupe un beau maillot avec Mercier ou Gitane brodé dessus. Mais entre ses
doigts avait défilé tout mon trousseau de futur pensionnaire. Restait à y
coudre le 550. Mon numéro dans le peloton des jours tristes.
Illustration: Camelus
lundi 24 novembre 2014
la machine à coudre
Quand je pose l’oreille contre le ventre de mon
enfance j’entends le refrain d’une machine à coudre. C’est ma chanson douce, le
bruit amoureux de ma mère. Je n’avais pas besoin de berceuse. Que la
conjugaison soyeuse de ses mollets pour me faire rentrer dans ma coquille et débobiner
des rêves tendres. J’entends aussi le cognement des vagues quand s’est cassé le
fil amarrant la maison.
Elle vivait, contre le mur gauche de la cuisine, dans
la lumière oblique de la porte d’entrée. J’ai grandi dans ses pattes noires, y
ai vu maman courbée des heures dans un travail de fourmi. Dans l’ombre du soir,
je voyais un étrange coléoptère doré, une cétoine géante. Le jour en coupait le
tronc. Je caressais alors un chat sans tête faisant le gros dos sur la fonte d’un
établi ou le bois ciré d’une sorte d’harmonium.
Maman en tirait un ondoiement répétitif, un ragtime un
peu naïf et mécanique. Un tempo minimaliste que je retrouverais plus tard sous
les doigts de Stève Reich ou Terry Riley. Ainsi une navette de beiges cousait
mes après-midi. Cette musique un peu
mélancolique que j’aime chez Satie. Un picotement d’enfance. Maman faisait la
pluie en chantonnant. Je mettais des dés à coudre sous les gouttières du cœur.
L’âme avait donc un objet où se loger. Une invention à
la Prévert. Une
utopie. Un truc comme aurait dit Isidore Ducasse, comte de Lautréamont beau comme la rencontre fortuite sur une
table de dissection d’une machine à coudre et d’un parapluie. Une machine
fabuleuse à remonter vers l’enfance. A faire tourner les aiguilles à l’envers.
A tirer de mon propre pianotement mécanique les points de piqûre d’un poème.
Ce texte fait partie d'un ensemble consacré à ma mère qui devrait paraître dans quelques mois sous le titre "La Maternelle". Une suite au "Jardin de mon père". Merci de me laisser vos commentaires.
Illustration: Camelus
Illustration: Camelus
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