On n’est pas
du même monde ! disait aussi maman
compliquant encore notre navigation. Car l’autre humanité ainsi désignée,
constituait pour une large moitié la communauté des gens du même bord. A la suivre, il ne nous restait donc qu’un gros quart
d’individus fréquentables. Car cette remarque visait autant à opposer notre
réalité sociale qu’à remémorer nos strates, entretenir le terreau familial, préserver la vie menue de son
enfance.
Ce n’était pas pour fuir son milieu qu’elle avait
laissé, après la guerre, ses quelques hectares. Mais parce qu’elle les avait
nourri de trop de peine et de solitude le temps de revoir un homme affaibli et
incapable d’y enfoncer le soc. Ni par ambition sinon de reprendre la couture,
son métier d’apprentissage. A la ville, elle avait accepté de servir, avant que
papa ne dégotte un emploi de magasinier. Une
bonne place avait-elle dit alors.
Une place dans le monde du smig, avec au bout de ses
rognures, la modeste maison et son empiècement jardinier, dans la cuisine la
belle ébénisterie d’un Ducretet et la fonte ouvragée d’une Singer. Une place au
soleil, un astre palot de printemps qui la contentait et qu’elle astiquait à
Pâques en confectionnant pour toute la famille des habits neufs. Ce jour-là, dans
les travées, on passaient aperçus par toute l’autre moitié des endimanchés.
C’était sa coquetterie. Sitôt rentrée, elle remettait le
sarrau. Cette fronde couturière visait surtout à faire réclame de son habileté.
Maman n’enviait pas les autres. Elle avait l’âme toujours ouverte au cœur noir
de sa terre. Ces pièces couturées de joncs et d’iris où le ciel venait tremper
son mufle. Ce monde de tintements et sonnailles que j’entendais parfois dans ses
yeux. L’autre monde de l’enfant des champs.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Un commentaire ?