Grand-mère
Avait-elle jamais franchi le cul de ses champs, le
fond de la bonne herbe communale, le soir bleu de son jardin ? Etait-elle jamais
sortie de sa chaux enfumée, de son sol
criblé de becs, des lunes dorées de ses comtoises ? Avait-elle jamais
laissé son globe de mariée et le portrait retouché de son défunt à fières
moustaches ? Je ne l’ai jamais vue chez nous cette grand-mère dont je cherchais
en riant le fils, mon père enfant, dans les sépias du buffet.
J’allais la voir en vélo ou en autobus Saviem cette paysanne
maigre et charbonneuse, cette ombre osseuse tisonnant son feu de bouses sèches.
J’aimais cette sorcière posant la crème de son sourire sur mes mots curieux.
J’aimais cette mémé vieux temps tournant entre ses genoux le moulin à café, étalant
sur mes tartines la motte jaune paille. Cette mémé cocottes déposant dans ma
main un œuf rouge encore chaud.
La maison natale de maman vendue peu après ma
naissance, j’ai dû imaginer la pièce bordant la rue dans laquelle elle avait
appris la couture sous le regard sévère de sa mère. La grand-mère maternelle,
plus ou moins impotente allait de filles en brus. Tous les semestres, on
l’avait, comme disait papa, cette belle mère au fichu caractère qui doublonnait
la porte culottes. Elle arrondissait l’angle de la cuisine, près de la seule
fenêtre baignant la pierre du timbre.
Maman entourait de mille soins cette aïeule
débordante. Lui passait geignements et reproches sempiternels. Tranchait
toujours pour elle. Je craignais cette ogresse patoisante qui me pressait contre
sa poitrine noire pour me chevroter toujours le même Perrault. J’aimais quand
elle partait me perdre dans son large fauteuil, semblable à celui de la Maison jaune, laissé vide
par Gauguin. Le fauteuil peint par Van Gogh rouge et vert.
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