samedi 6 décembre 2014

La Baillotte





 






L’hygiène brillait dans tous ses livres d’école. La propreté est la meilleure condition de la moralité. Celui des sciences, de lecture, de morale. Comment une âme délicate et noble pourrait-elle habiter un corps sale et négligé ? Maman récurait l’émail de ses patrons, rue des Gentilshommes. La malpropreté sépare les hommes plus que ne fait l’inégalité des fortunes. Sur sa table de toilette, la fine Sarreguemines fleurie de sa cuvette et son broc de mariage.
          Le jour de son Certificat d’Études Primaires, elle avait dû longuement se pencher sur une baignoire mesurant 70cm de large, 1m30 de long, et 70cm de profondeur dont il fallait résoudre le temps de remplissage sachant que le robinet débitait 70 litres par minute. Notre bassine de zinc faisait 80cm de diamètre. On disait la baillotte qui servait aussi pour la lessive. Je remuais dedans comme un hanneton dans une tasse.
           Le dimanche matin papa la déposait dans l’arrière-cuisine. Pour le petit paquet de linge sale. Maman avait sorti des habits propres de la lavande. C’était le jour de la toilette en grand. Le reste de la semaine la propreté s’arrêtait au cou. Débarbouillage de chat. Que recouvrait en grand pour eux ? Les corps étaient soustraits. Le nu honteux. Elle ne s’attardait pas sur mon jésus. Dieu prenait certaines parties avec des pincettes.
          Je tournais sous la caresse savonneuse du gant. Sur l’eau vite refroidie elle inclinait le bec de la bouilloire saisie sur le rond rougi de la cuisinière à charbon. Je dansais un peu. Je sortais comme un sou neuf tremblotant dans la serviette, décrassé pour la grand-messe. La maison a été agrandie d’une salle d’eau l’année de mon certificat d’études et son récurrent problème de baignoire qui, en plus pour moi, fuyait.





Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Un commentaire ?