mardi 25 novembre 2014

La machine à coudre/2






 
 

Ce 26 juin 1960, Julien Schepens avait gagné à la maison. Démarré de Lille, le Tour sous maillots nationaux et régionaux, s’était fendu d’une boutonnière en Belgique. Dès la seconde étape, en remettant la montre à l’heure hexagonale, Roger Rivière avait remonté les cocoricos. Cette année-là, c’était un parcours pour géants, avec du 6 au 14 juillet un froncement Pyrénées Alpes culminant à l’Izoard. Une carte drôlement coton à piquer à la machine.
Maman roulait tranquille, quand j’arrivais, au quatre-heures, allumer la loupiotte de la TSF. Dans les lacets il fallait monter le volume des reporters à moto. Alors, je voyais maman, probablement pour couvrir les crachotements, appuyer sur son pédalier et relancer violemment sa machine. Comme si elle voulait s’échapper, couper en première le fil. Elle enfilait les virages à épingles, montait allègre bords-côtes et cols.  J’aurais pu oser : va-y maman, fronce !
Ce 10 juillet 1960, elle avait mis le couvercle verni sur sa monture. Tout au long du Perjuret, les coureurs avaient dû ouvrir un Gois dans la marée des cris et drapeaux. Je n’avais d’oreille que pour le second du classement général Roger Rivière que toute la France revêtait de jaune à Paris. C’était un dimanche, maman se distrayait au jardin. Je suis sorti en courant troubler son jour de repos : Rivière est tombé dans le ravin, il est blessé.
A la fin août, j’ai rangé mes coureurs en métal et ma collection de buvards avec celui lancé, lors du tour précédent, par la caravane publicitaire sur lequel, une petite fille clamait On peut tout faire avec Singer. Alors j’aurais aimé que maman me coupe un beau maillot avec Mercier ou Gitane brodé dessus. Mais entre ses doigts avait défilé tout mon trousseau de futur pensionnaire. Restait à y coudre le 550. Mon numéro dans le peloton des jours tristes.


Illustration: Camelus 

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