Ce 26 juin 1960, Julien Schepens avait gagné à la
maison. Démarré de Lille, le Tour sous maillots nationaux et régionaux, s’était
fendu d’une boutonnière en Belgique. Dès la seconde étape, en remettant la
montre à l’heure hexagonale, Roger Rivière avait remonté les cocoricos. Cette
année-là, c’était un parcours pour géants, avec du 6 au 14 juillet un froncement
Pyrénées Alpes culminant à l’Izoard. Une carte drôlement coton à piquer à la
machine.
Maman roulait tranquille, quand j’arrivais, au
quatre-heures, allumer la loupiotte de la TSF. Dans les lacets il fallait monter le volume
des reporters à moto. Alors, je voyais maman, probablement pour couvrir
les crachotements, appuyer sur son pédalier et relancer violemment sa machine.
Comme si elle voulait s’échapper, couper en première le fil. Elle enfilait les
virages à épingles, montait allègre bords-côtes et cols. J’aurais pu oser : va-y maman, fronce !
Ce 10 juillet 1960, elle avait mis le couvercle verni
sur sa monture. Tout au long du Perjuret, les coureurs avaient dû ouvrir un
Gois dans la marée des cris et drapeaux. Je n’avais d’oreille que pour le
second du classement général Roger Rivière que toute la France revêtait de jaune à
Paris. C’était un dimanche, maman se distrayait au jardin. Je suis sorti en
courant troubler son jour de repos : Rivière
est tombé dans le ravin, il est blessé.
A la fin août, j’ai rangé mes coureurs en métal et ma
collection de buvards avec celui lancé, lors du tour précédent, par la caravane
publicitaire sur lequel, une petite fille clamait On peut tout faire avec Singer. Alors j’aurais aimé que maman me
coupe un beau maillot avec Mercier ou Gitane brodé dessus. Mais entre ses
doigts avait défilé tout mon trousseau de futur pensionnaire. Restait à y
coudre le 550. Mon numéro dans le peloton des jours tristes.
Illustration: Camelus
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