Quand je pose l’oreille contre le ventre de mon
enfance j’entends le refrain d’une machine à coudre. C’est ma chanson douce, le
bruit amoureux de ma mère. Je n’avais pas besoin de berceuse. Que la
conjugaison soyeuse de ses mollets pour me faire rentrer dans ma coquille et débobiner
des rêves tendres. J’entends aussi le cognement des vagues quand s’est cassé le
fil amarrant la maison.
Elle vivait, contre le mur gauche de la cuisine, dans
la lumière oblique de la porte d’entrée. J’ai grandi dans ses pattes noires, y
ai vu maman courbée des heures dans un travail de fourmi. Dans l’ombre du soir,
je voyais un étrange coléoptère doré, une cétoine géante. Le jour en coupait le
tronc. Je caressais alors un chat sans tête faisant le gros dos sur la fonte d’un
établi ou le bois ciré d’une sorte d’harmonium.
Maman en tirait un ondoiement répétitif, un ragtime un
peu naïf et mécanique. Un tempo minimaliste que je retrouverais plus tard sous
les doigts de Stève Reich ou Terry Riley. Ainsi une navette de beiges cousait
mes après-midi. Cette musique un peu
mélancolique que j’aime chez Satie. Un picotement d’enfance. Maman faisait la
pluie en chantonnant. Je mettais des dés à coudre sous les gouttières du cœur.
L’âme avait donc un objet où se loger. Une invention à
la Prévert. Une
utopie. Un truc comme aurait dit Isidore Ducasse, comte de Lautréamont beau comme la rencontre fortuite sur une
table de dissection d’une machine à coudre et d’un parapluie. Une machine
fabuleuse à remonter vers l’enfance. A faire tourner les aiguilles à l’envers.
A tirer de mon propre pianotement mécanique les points de piqûre d’un poème.
Ce texte fait partie d'un ensemble consacré à ma mère qui devrait paraître dans quelques mois sous le titre "La Maternelle". Une suite au "Jardin de mon père". Merci de me laisser vos commentaires.
Illustration: Camelus
Illustration: Camelus
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