jeudi 22 mars 2012
Un homme doit savoir s'empêcher
En octobre 1957 Albert Camus reçoit le prix Nobel de littérature. A cette occasion il aura cette phrase alors incomprise et source de polémiques : J’ai toujours condamné la terreur. Je dois condamner aussi un terrorisme qui s’exerce aveuglément dans les rues d’Alger, par exemple, et qui un jour, peut frapper ma mère ou ma famille. Je crois à la justice mais je défendrai ma mère avant la justice.
Camus est né à Mondovi en Algérie d’un père,très tôt disparu, ouvrier dans un domaine agricole, qu’il mythifiera et d’une mère sourde, ne sachant ni lire ni écrire qu’il vénèrera. C’est, bien sûr, cette très modeste extraction qui éclairera toute son œuvre. L’amenant très vite à dénoncer l’indigne exploitation du peuple algérien par la colonisation et à s’engager dans la construction de son autonomie. Tout en rejetant terrorisme et répression.
Toute sa vie sera conduite par une phrase: Un homme doit s’avoir s’empêcher . Phrase venue sur les lèvres de son père à la suite, en représailles, du massacre d’un homme émasculé et égorgé. Barbarie qui fondera toute sa réflexion sur le rapport de l’Homme au mal. Pour le solaire Camus, comme le résume Jean Daniel : faire son métier d’homme, savoir aimer sans rien attendre du ciel, alors qu’on sait qu’il faudra mourir, implique une façon d’apprivoiser une violence à la fois inévitable et injustifiable, une révolte contre tous les totalitarismes, une interdiction de s’accommoder de l’injustice, de l’humiliation, du colonialisme comme du capitalisme.
C’est notamment ce Camus, cet homme blessé en proie avec la viscéralité de l’homme, sa pulsion de mort, sa facilité à violer comme à torturer et bien sûr tuer, que nous fait découvrir Michel Onfray dans son dernier livre : Camus, l’ordre libertaire. Etrange oxymore qui résume parfaitement le parcours de cet homme qui sachant que le mal n’existe pas dans l’absolu mais bien en chacun de nous, véritable ontologie noire, véritable peste, a cherché le passage étroit entre la vertu et la révolte. Entre le vivre ensemble et le gai vivre.
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LA MORT ABSURDE D'ALBERT CAMUS
RépondreSupprimerLundi 4 janvier 1960, vers 14 h 15, sur la RN 5 (aujourd’hui D 606) au Petit Villeblevin (Yonne) entre Champigny et Villeneuve-la-Guyard, une puissante Facel-Véga FV3 roule à vive allure vers Paris sur la route toute droite à cet endroit. Soudain la voiture quitte la chaussée et s’écrase contre un arbre à droite.
« Sous la violence du choc, raconte Le Monde dans son édition du 6 janvier 1960, la voiture s’est disloquée. Une partie du moteur a été retrouvée à gauche de la route, à une vingtaine de mètres, avec la calandre et les phares. Des débris du tableau de bord et des portières ont été projetés dans les champs dans un rayon d’une trentaine de mètres. Le châssis s’est tordu contre l’arbre. »
Le conducteur, Michel Gallimard, neveu de l’éditeur Gaston Gallimard, est grièvement blessé et décédera cinq jours plus tard. Son passager, l’écrivain Albert Camus est tué sur le coup ; il avait 47 ans. En 1957, il avait reçu le prix Nobel de littérature pour « l'ensemble d'une œuvre qui met en lumière les problèmes se posant de nos jours à la conscience des hommes. »
Dans la voiture, on retrouve le manuscrit inachevé d’un roman autobiographique « Le premier homme » et dans sa poche un billet de chemin de fer. Il avait en effet prévu de rentrer à Paris par le train mais son ami, Michel Gallimard, lui avait proposé de profiter de sa voiture…
Destin absurde qui aurait certainement révolté Albert Camus
Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.
Supprimeroui livre magnifique dédié à sa mère dans lequel il évoque longuement son père:Il revoyait sa vie folle, courageuse, lâche, obstinée et toujours tendue vers ce but dont il ignorait tout, et en vérité elle s'était tout entière passée sans qu'il ait essayé d'imaginer ce que pouvait être un homme qui lui avait donné justement cette vie pour aller mourir aussitôt sur une terre inconnue de l'autre côté des mers. A vingt-neuf ans, lui-même n’était-il pas fragile, souffrant, tendu, volontaire, sensuel, rêveur, cynique et courageux. Oui, il était tout cela et bien d’autres choses encore, il avait été vivant, un homme enfin, et pourtant il n’avait jamais pensé à l’homme qui dormait là comme à un être vivant, mais comme à un inconnu qui était passé autrefois sur la terre où il était né, dont sa mère lui disait qu’il lui ressemblait et qui était mort au champ d’honneur. Pourtant ce qu’il avait cherché avidement à savoir à travers les livres et les êtres, il lui semblait maintenant que ce secret avait partie liée avec ce mort, ce père cadet, avec ce qu’il avait été et ce qu’il était devenu et que lui-même avait cherché bien loin ce qui était près de lui dans le temps et dans le sang. A vrai dire, il n’avait pas été aidé. Une famille où on ne parlait peu, ou on ne lisait ni n’écrivait, une mère malheureuse et distraite, qui l’aurait renseigné sur ce jeune et pitoyable père ? Personne ne l'avait connu que sa mère qui l'avait oublié. Il en était sûr. Et il était mort inconnu sur cette terre où il était passé fugitivement, comme un inconnu. C'était à lui à se renseigner sans doute, à demander. Mais celui qui, comme lui, n'a rien et veut le monde entier, il n'a pas assez de toute son énergie pour s'édifier et conquérir et comprendre le monde. Après tout, il n'était pas trop tard, il pouvait encore chercher, savoir qui était cet homme qui lui semblait plus proche maintenant qu'aucun être au monde...
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