lundi 7 décembre 2015

REVEIL BRUN




Matin brun

Franck Pavloff

Les jambes allongées au soleil, on ne parlait pas vraiment avec Charlie, on échangeait des pensées qui nous couraient dans la tête, sans bien faire attention à ce que l'autre racontait de son côté. Des moments agréables où on laissait filer le temps en sirotant un café. Lorsqu'il m'a
dit qu'il avait dû faire piquer son chien, ça m'a surpris, mais sans plus. C'est toujours triste un clebs qui vieillit mal, mais passé quinze ans, il faut se faire à l'idée qu'un jour ou l'autre il vamourir.
- Tu comprends, je pouvais pas le faire passer pour un brun.
- Ben, un labrador, c'est pas trop sa couleur, mais il avait quoi comme maladie ?
- C'est pas la question, c'était pas un chien brun, c'est tout.
- Mince alors, comme pour les chats, maintenant ?
- Oui, pareil.
Pour les chats, j'étais au courant. Le mois dernier, j'avais dû me débarrasser du mien, un de gouttière qui avait eu la mauvaise idée de naître blanc, taché de noir. C'est vrai que la surpopulation des chats devenait insupportable, et que d'après ce que les scientifiques de l'Etat
national disaient, il valait mieux garder les bruns. Que des bruns. Tous les tests de sélection prouvaient qu'ils s'adaptaient mieux à notre vie citadine, qu'ils avaient des portées peu nombreuses et qu'ils mangeaient beaucoup moins. Ma fois un chat c'est un chat, et comme il fallait bien résoudre le problème d'une façon ou d'une autre, va pour le décret qui instaurait la suppression des chats qui n'étaient pas bruns. Les milices de la ville distribuaient gratuitement des boulettes d'arsenic. Mélangées à la pâtée, elles expédiaient les matous en moins de deux. Mon cœur s'était serré, puis on oublie vite. Les chiens, ça m'avait surpris un peu plus, je ne sais pas trop pourquoi, peut-être parce que c'est plus gros, ou que c'est le compagnon de l'homme comme on dit. En tout cas Charlie
venait d'en parler aussi naturellement que je l'avais fait pour mon chat, et il avait sans douteraison. Trop de sensiblerie ne mène pas à grand-chose, et pour les chiens, c'est sans doute vrai que les bruns sont plus résistants.
On n'avait plus grand-chose à se dire, on s'était quittés mais avec une drôle d'impression. Comme si on ne s'était pas tout dit. Pas trop à l'aise. Quelque temps après, c'est moi qui avais appris à Charlie que le Quotidien de la ville ne paraîtrait plus. Il en était resté sur le cul : le
Journal qu'il ouvrait tous les matins en prenant son café crème !
- Ils ont coulé ? Des grèves, une faillite ?
- Non, non, c'est à la suite de l'affaire des chiens.
- Des bruns ?
- Oui, toujours. Pas un jour sans s'attaquer à cette mesure nationale. Ils allaient jusqu'à remettre en cause les résultats des scientifiques. Les lecteurs ne savaient plus ce qu'il fallait penser, certains même commençaient à cacher leur clébard !
- · trop jouer avec le feu...
- Comme tu dis, le journal a fini par se faire interdire.
- Mince alors, et pour le tiercé ?
- Ben mon vieux, faudra chercher tes tuyaux dans les Nouvelles Brunes, il n'y a plus que celui-là. Il paraît que côté courses et sports, il tient la route. Puisque les autres avaient passé les bornes, il fallait bien qu'il reste un journal dans la ville, on ne pouvait pas se passer d'informations tout de même.
J'avais repris ce jour-là un café avec Charlie, mais ça me tracassait de devenir un lecteur des Nouvelles Brunes. Pourtant, autour de moi les clients du bistrot continuaient leur vie comme avant : j'avais sûrement tort de m'inquiéter. Après ça avait été au tour des livres de la bibliothèque, une histoire pas très claire, encore. Les maisons d'édition qui faisaient partie du même groupe financier que le Quotidien de la ville,
étaient poursuivies en justice et leurs livres interdits de séjour sur les rayons des bibliothèques. Il est vrai que si on lisait bien ce que ces maisons d'édition continuaient de publier, on relevait le mot chien ou chat au moins une fois par volume, et sûrement pas toujours assorti du mot brun. Elles devaient bien le savoir tout de même.
- Faut pas pousser, disait Charlie, tu comprends, la nation n'a rien à y gagner à accepter qu'on détourne la loi, et à jouer au chat et à la souris. Brune, il avait rajouté en regardant autour de lui, souris brune, au cas où on aurait surpris notre conversation. Par mesure de précaution, on avait pris l'habitude de rajouter brun ou brune à la fin des phrases ou après les mots. Au début, demander un pastis brun, ça nous avait fait drôle, puis après tout, le langage c'est fait pour évoluer et ce n'était pas plus étrange de donner dans le brun, que de rajouter " putain con ", à tout bout de champ, comme on le fait par chez nous. Au moins, on était bien vus et on était tranquilles. On avait même fini par toucher le tiercé. Oh, pas un gros, mais tout de même, notre premier tiercé brun. Ça nous avait aidés à accepter les tracas des nouvelles réglementations. Un jour, avec Charlie, je m'en souviens bien, je lui avais dit de passer à la maison pour regarder la finale de la Coupe des coupes, on a attrapé un sacré fou rire. Voilà pas qu'il débarque avec un nouveau chien !
Magnifique, brun de la queue au museau, avec des yeux marron.
- Tu vois, finalement il est plus affectueux que l'autre, et il m'obéit au doigt et à l'oeil.
Fallait pas que j'en fasse un drame du labrador noir. À peine il avait dit cette phrase, que son chien s'était précipité sous le canapé en jappant comme un dingue. Et gueule que je te gueule, et que même brun, je n'obéis ni à mon maître ni à personne ! Et Charlie avait soudain compris.
- Non, toi aussi ?
- Ben oui, tu vas voir.
Et là, mon nouveau chat avait jailli comme une flèche pour grimper aux rideaux et se réfugier sur l'armoire. Un matou au regard et aux poils bruns. Qu'est ce qu'on avait ri. Tu parles d'une coïncidence !
- Tu comprends, je lui avais dit, j'ai toujours eu des chats, alors... Il est pas beau, celui-ci ?
- Magnifique, il m'avait répondu.
Puis on avait allumé la télé, pendant que nos animaux bruns se guettaient du coin de l'oeil. Je ne sais plus qui avait gagné, mais je sais qu'on avait passé un sacré bon moment, et qu'on se sentait en sécurité. Comme si de faire tout simplement ce qui allait dans le bon sens dans la
cité nous rassurait et nous simplifiait la vie. La sécurité brune, ça pouvait avoir du bon. Bien sûr je pensais au petit garçon que j'avais croisé sur le trottoir d'en face, et qui pleurait son caniche blanc, mort à ses pieds. Mais après tout, s'il écoutait bien ce qu'on lui disait, les chiens
n'étaient pas interdits, il n'avait qu'à en chercher un brun. Même des petits, on en trouvait. Et comme nous, il se sentirait en règle et oublierait vite l'ancien. Et puis hier, incroyable, moi qui me croyais en paix, j'ai failli me faire piéger par les miliciens de la ville, ceux habillés de brun, qui ne font pas de cadeau. Ils ne m'ont pas reconnu, parce qu'ils sont nouveaux dans le quartier et qu'ils ne connaissent pas encore tout le monde.
J'allais chez Charlie. Le dimanche, c'est chez Charlie qu'on joue à la belote. J'avais un pack de bières à la main, c'était tout. On devait taper le carton deux, trois heures, tout en grignotant. Et là, surprise totale : la porte de son appart avait volé en éclats, et deux miliciens plantés sur le
palier faisaient circuler les curieux. J'ai fait semblant d'aller dans les étages du dessus et je suis redescendu par l'ascenseur. En bas, les gens parlaient à mi-voix.
- Pourtant son chien était un vrai brun, on l'a bien vu, nous !
- Oui, mais à ce qu'ils disent, c'est que avant, il en avait un noir, pas un brun. Un noir.
- Avant ?
- Oui, avant. Le délit maintenant, c'est aussi d'en avoir eu un qui n'aurait pas été brun. Et ça, c'est pas difficile à savoir, il suffit de demander au voisin. J'ai pressé le pas. Une coulée de sueur trempait ma chemise. Si en avoir eu un avant était un délit, j'étais bonpour la milice. Tout le monde dans mon immeuble savait qu'avant j'avais eu un chat noir
et blanc. Avant ! Ça alors, je n'y aurais jamais pensé ! Ce matin, Radio brune a confirmé la nouvelle. Charlie fait sûrement partie des cinq cents personnes qui ont été arrêtées. Ce n'est pas parce qu'on aurait acheté récemment un animal brun qu'on aurait changé de mentalité, ils ont dit. " Avoir eu un chien ou un chat non conforme, à quelque époque
que ce soit, est un délit. " Le speaker a même ajouté " injure à l'Etat national ". Et j'ai bien noté la suite. Même si on n'a pas eu personnellement un chien ou un chat non conforme, mais que quelqu'un de sa famille, un père, un frère, une cousine par exemple, en a possédé un, ne serait ce qu'une fois dans sa vie, on risque soi-même de graves
ennuis.
- Je ne sais pas où ils ont amené Charlie. Là, ils exagèrent. C'est
de la folie. Et moi qui me croyais tranquille pour un bout de temps avec mon chat brun. Bien sûr, s'ils cherchent avant, ils n'ont pas fini d'en arrêter des proprios de chats et de chiens. Je n'ai pas dormi de la nuit. J'aurais dû me méfier des bruns dès qu'ils nous ont imposé leur
première loi sur les animaux. Après tout, il était à moi mon chat, comme son chien pour Charlie, on aurait dû dire non. Résister davantage, mais comment ? Ça va si vite, il y a le boulot, les soucis de tous les jours. Les autres aussi baissent les bras pour être un peu tranquilles, non ? On frappe à la porte. Si tôt le matin, ça n'arrive jamais. J'ai peur. Le jour n'est pas levé, il fait encore brun au dehors. Mais, arrêtez de taper si fort, j'arrive.

jeudi 3 décembre 2015

mercredi 2 décembre 2015



Dans quelques heures on foulera l'herbe de la prairie et non plus le bitume ou le ciment. Dans quelques heures on aura quitté la foule, il faudra chercher silhouette humaine dans le paysage, attendre un passage furtif. Dans quelques heures le volume sonore  ambiant aura baissé, se sera apaisé. La bête est là, au repos. Elle n'est ni nostalgique, ni impatiente. Elle se prépare juste à son rôle de trait d'union.

Claude Burneau

Claude Burneau était écrivain, poète. Il animait les éditions Soc et Foc. En 2012 il avait créé un blog sur lequel il avait pendant toute l'année mis en ligne une photo et un texte d'accompagnement. Cette photo et ce texte étaient les derniers de sa série. Il prenait le TGV pour revenir du salon de Montreuil.

Claude Burneau nous a quittés cette nuit à 3h d'un cancer foudroyant.

 

lundi 16 novembre 2015

dimanche 15 novembre 2015

LOLA




 
Elle s’appelait Lola, Lola Salines. Elle souriait sur des photos prises avec ma fille, lors d’un voyage en Italie, à Rome et à Bologne pour le salon du livre. Car Lola était éditrice comme notre fille chez Grund. Elles avaient le même âge et travaillaient l’une en face de l’autre. Lola était aussi membre d’une équipe de derby roller de Paris la boucherie. Lola symbolisait, bien involontairement, tout ce que détestent les barbares : la culture, la femme assumée, battante et joyeuse.
Lola est tombée sous les balles des assassins du Bataclan. Alors nous ressentons ce trou béant ouvert dans le cœur de ses parents. Alors nous partageons leur immense peine et le chagrin indicibles de notre fille. Car quels mots poser sur de tels faits ? Quel début de rationalité sur des actes d’une telle gratuité ? Aucune cause ne saurait justifier un tel mépris de la vie humaine ! Nous sommes dans l’écœurement et la révolte mais avant tout dans le deuil, dans la solidarité avec toutes les familles des victimes dans la compassion avec les parents de Lola, dans l’amour avec notre fille Manon.

dimanche 26 avril 2015

vendredi 24 avril 2015

lundi 23 mars 2015

Il reste encore la Poésie ce matin...

    

Poème de Claude BURNEAU extrait de "Comment tu vas le monde"
qui  vient de paraître chez l'éditeur Gros Textes.

samedi 31 janvier 2015

De quelle grotte Lascaux ou Chauvet sortait-il ?


                                  Photo d'Emmanuel TARDY.

jeudi 22 janvier 2015

Après la neige...



Que devient la blancheur quand la neige a fondu ?

                                                                         Shakespeare
                                                                                 

samedi 17 janvier 2015

vendredi 16 janvier 2015

lundi 12 janvier 2015

D'un ami poète Michel Baglin

Mes vœux les pires

La bête immonde du fanatisme religieux ne dort jamais que d’un œil ! Qu’on lui lâche tant soit peu la
bride, et voilà qu’elle se réveille pour prétendre bientôt régner sur tous et sur chacun, dicter ce qu’il faut croire et sentir, imposer une manière de vivre à genou et dans l’humiliation. Il y a toujours des abrutis de dieu quelque soit le nom qu’ils lui donnent, des enténébrés de dogmes, pour se lever et combattre
tout ce qui pense, tout ce qui fait l’être humain et sa dignité : son esprit critique, sa liberté de penser.
Ce n’est pas nouveau et ces dernières années, des intégristes cathos voulant faire
interdire des spectacles « blasphématoires » à la vermine islamiste prétendant
empêcher la représentation de son idole, en passant par les fondamentalistes juifs qui
prétendent asservir toute la Palestine au non du Grand Israël biblique, on pouvait croire
que ces fanatiques ne s’en prenaient qu’à la liberté d’expression, ce qui était déjà s’en
prendre au fondement de la démocratie. On sait aujourd’hui qu’ils sont tout aussi
impatients de massacrer, comme ils le font hélas partout dans le monde, ceux qui ne
leur ressemblent pas et ne partagent pas leurs élucubrations. La nouveauté, c’est que
les liberticides sont aussi des assassins de la pire espèce, des crétins cruels et des
lâches, que l’humour accule à l’hystérie meurtrière.
J’ai tenté de traiter avec le sourire ces infamies dans ma pièce, « Dieu se moque
des lèches-bottes » (éditions Le Bruit des autres), où le dieu bienveillant qu’on peut
imaginer à partir d’une certaine lecture des textes dits « sacrés » (mais qui autorisent
hélas une lecture diamétralement opposée !) fustige et vomit ces dévots qui l’insultent et
le déshonorent. Depuis mercredi pourtant, le cœur n’y est pas et j’avoue que je n’ai plus
l’humeur à en rire. Je suis plutôt ulcéré par certaines réactions, même si les
manifestations qui se sont multipliées spontanément en France et dans le monde, et la
fraternité ressentie au milieu des gens qui se sourient malgré les yeux humides, aident à
ne pas désespérer.
Ulcéré parce que j’ai entendu de sinistres crétins parler de provocations à propos
des dessins de Charlie hebdo. Comme si la provocation ne venait pas de ceux qui ont le
culot de vouloir interdire les critiques de s’exprimer, imposer silence à la planète ! Je
suis fatigué d’expliquer à ceux-là que les caricaturistes ne font que répondre
légitimement à l’arrogance des censeurs et que chaque citoyen a une dette envers eux.
Fatigué aussi de ressasser ce qui est une évidence : le sacré des uns n’étant
pas celui des autres, il n’y a que la tolérance pour nous permettre de vivre ensemble,
celle que la laïcité réussit plutôt bien à organiser.
Malheureusement, des confusions viennent contrarier ses efforts.
Il en est une particulièrement néfaste, véhiculée par les bobos et nombre de
journalistes, qui se focalisent sur le terme d’islamophobie. Prétendant nous garder de
tout racisme, elle entérine de fait une sorte de prohibition de la critique de l’islam et par
extension de toute religion. Que sous-entend-elle ? Que l’hostilité à l’islam recouvre une
hostilité aux Arabes. J’entends bien que l’extrême-droite et les racistes exploitent ce
filon. Mais la confusion qu’elle apporte est au moins aussi dangereuse. Rappelons
d’abord que la majorité des musulmans ne sont pas arabes et surtout que tous les
Arabes ne sont pas musulmans ! Cette confusion procède au fond d’un racisme plus
sournois, qui consiste à vouer un peuple à une religion.
Et c’est là, faire injure à tous ses membres, croyants ou non, en les imaginant
incapables d’indépendance à l’égard du religieux. C’est notamment dénier tout crédit à
ceux, athées, qui ferraillent contre le « sacré » qu’on veut leur imposer, comme ont
ferraillé en Occident les philosophes des Lumières, plus tard les libres penseurs et enfin
ceux qui ont conquis de haute lutte le privilège de la laïcité. J’ai beaucoup d’amis arabes
qui sont agnostiques ou athées, menacés de mort pour cette raison, et qui n’apprécient
pas vraiment qu’on oublie ainsi leur combat ou simplement qu’on nie leur indépendance
d’esprit. Pas plus qu’on apprécierait d’être systématiquement qualifié de chrétien parce qu’occidental ou
de voir accuser de racisme anti blanc quiconque s’oppose à la foi ou aux églises chrétiennes !
L’injonction que l’on entend répéter à l’envi −« Attention aux amalgames » −n’est d’ailleurs pas très réaliste
(qui y-a-t-il vraiment aujourd’hui pour prétendre que tous les musulmans sont des islamistes, hormis une poignée de fachos et de débiles ?). En revanche, elle instaure un couvre-feu sur la mise en examen du fait
religieux. Et cela par la faute de niais peut-être bien intentionnés, mais qui se satisfont
de la bonne conscience que leur procure une protestation facile.
Plus grave peut-être : cette confusion trop répandue (à dessein par certains)
implique le présupposé que les religions seraient a priori respectables et par voie de
conséquence non susceptibles d’analyses et de débats. Qu’elles aient été, toutes ou
presque, à l’origine d’effroyables guerres et carnages est pourtant incontestable. Mais
ne peut occulter qu’elles sont aussi à la source de faits de civilisation et de démarches
individuelles ou collectives d’ouverture aux autres, d’interrogations spirituelles et de
progrès dans l’humanisation des peuples. Il est des croyants qui s’en tiennent à l’esprit,
quand les imbéciles s’accrochent à la lettre (c’est même à ça qu’on les reconnait) ;
hélas, dans ce domaine la bêtise fait souvent de sérieux dégâts et ne pardonne pas…
Les religions sont des auberges espagnoles où l’on trouve un peu tout ce qu’on y
apporte, et je ne doute pas qu’on découvre dans le Coran comme dans la Bible
largement de quoi s’opposer aux fous de Dieu. Mais elles ne sont pas respectables en
soi et par principe – pas plus que n’importe quelle opinion ou vision du monde – même
si la grande majorité des croyants sont, eux, parfaitement respectables.
Parler d’instrumentalisation politique des religions n’a sans doute pas grand sens
non plus : les religions ont toujours une dimension politique, prépondérante. La
résurrection du fanatisme est l’occasion où jamais de le répéter plutôt que de pousser
des cris d’orfraie en feignant de s’offusquer d’une « montée de l’islamophobie » qui n’est
somme toute que le signe d’interrogations et d’une méfiance légitimes. Oui, méfiez-vous
de toutes les religions parce qu’elles portent en elles cet absolu – la foi, la certitude pour
le croyant de détenir la vérité – qui peut conduire à la négation de l’autre. Les
manifestations des musulmans qui protestaient contre les caricatures et ont porté plainte
contre Charlie Hebdo, comme la demande de certains intégristes catholiques ou autres
évangélistes de créer un délit de blasphème, montrent à quel point le ver est dans le
fruit. Et ce qui me navre est qu’il est des gens prétendument de gauche pour y souscrire
au nom du « respect »… Mais il est vrai que la bienpensance est devenue la face
réactionnaire de la gauche comme l’ordre moral fut celle de la droite. Il faut donc encore
rappeler une évidence : le respect est dû aux personnes, pas à leurs croyances, leurs
idéologies, leurs représentations du monde,leurs utopies. Qu’on en vienne à créer un délit de
blasphème, c’est toute la pensée qu’on mettrait au pas et la liberté sous le boisseau. Pour ma part, je
ne crois guère ici en la naïveté : tous ceux qui réclament une telle loi le sont peut-être à leur insu,
mais sont fascistes dans l’âme !
Reste enfin la fraternité. Il n’y a pas besoin de dieu pour cela, les révoltés de tous les temps et de
tous les pays l’ont montré, même si les révolutionnaires ont parfois hélas prouvé qu’on
pouvait aussi l’assassiner avec la liberté. En tous cas, rien ne m’alarme plus que d’entendre parler de « frères en religion ». Car la fraternité est universelle, sinon le mot ne recouvre que l’esprit de clan : une fraternité de
meute, d’un groupe ligué contre le reste du monde.
Ce mercredi noir, j’assistais aux funérailles du poète occitan et ami Yves
Rouquette, un « chrétien buissonnier », homme d’une belle foi généreuse qui, à l’instar
d’autres amis croyants de toutes confessions, me persuade que la bonté a aussi des
sources spirituelles. Toutes les manières de croire ne se valent pas et je l’ai ressenti
profondément ce triste jour (lire ici http://revue-texture.fr/d-une-foi-l-autre.html ). Voilà un
baume sur ma colère et je ne veux pas occulter que bien des croyants, musulmans,
chrétiens, juifs ou autres, témoignent d’une humanité profonde, d’un respect des autres,
d’une ouverture d’esprit qui forcent l’admiration. On peut s’imaginer que c’est en dépit
de leurs croyances. On peut aussi penser, parce que toutes les religions parlent
d’amour (même si elles oublient souvent de le mettre en pratique), qu’elles ont insufflé
chez chacun ce sentiment d’appartenance à une même communauté humaine,
sentiment qui infuse tout au long des âges et de l’histoire individuelle pour finir par
façonner une approche bienveillante des autres.
Sentiment qui fait évidemment défaut aux chiens de dieu (pardon pour les chiens),
ce qui ne doit pas, il me semble, amener pour autant à les considérer comme des
monstres. Non, hélas, ils sont des humains, comme le furent les nazis et tant d’autres
fléaux des peuples, et quoique amputés de leur capacité d’empathie autant que de leur
libre arbitre. Telle est la « banalité du mal » dont parlait Hannah Arendt, qui fait que
nous n’avons que la vigilance de la pensée, l’exercice de l’esprit critique, pour ne pas
risquer un jour de leur ressembler.
C’est bien sûr ce que je nous souhaite en ce terrible début d’année. En souhaitant
du même coup aux misérables imbéciles qui nous endeuillent d’avoir un jour l’intuition
qu’ils vont finir par rôtir aux enfers, puisqu’ils y croient. Et avec ces voeux que je formule
de tout cœur, les pires pour eux : que les crayons et les lettres finissent par l’emporter
durablement sur les kalachnikovs.

Michel Baglin Mercredi 8 janvier 2015

FRATERNITE


dimanche 11 janvier 2015

samedi 10 janvier 2015

jeudi 8 janvier 2015