samedi 19 novembre 2011

La préface de Lucien Suel


Préface aux Dérives immobiles

Un plasticien et un poète s'associent pour créer un livre. Cela n'est pas insolite. Nous connaissons de nombreux exemples de telles collaborations. Pourtant, ces Dérives immobiles vécues et créées par Jean-Pierre Sautreau autour et avec les œuvres peintes de Jean-François Bourasseau sont beaucoup plus qu'une juxtaposition de leurs univers artistiques.

À l'origine, des photos prises au téléphone. Images de trains, de bars, d'intérieurs d'églises ou de maisons, le théâtre de la vie. Clichés bruts, fugitifs, auxquels le peintre ajoute du mouvement et des éléments du monde matériel. Chaque image est reproduite, marouflée, retravaillée et brutalisée, parfois greffée avec des déchirures d'affiche, traitée aux crayons, à l'acrylique, purgée par le sable ou le marc de café, éventuellement enfermée dans un cadre de plastique fondu, jusqu'à devenir un tableau composé, harmonieux, inépuisable dans sa charge symbolique. Dans tous ces tableaux, au bout du compte, Jean-François Bourasseau aura métamorphosé paysage en passage, ou mis en lumière la force d'un objet et l'esprit d'un lieu.

Le poète intervient ensuite, s'empare de l’œuvre, lui donne un nom, instant-lumière, cœur battant, table rouge, manteau d'Arlequin, dernier blues... Il écrit, décrit, inscrit, connote et dénote, verbalise et baptise, assemble et monte mots, phrases et citations, jouant du temps et du vocabulaire dans l'affrontement amoureux de l'espace. Il s'expose en même temps que la peinture sous nos yeux. Il interprète sa partition au fur et à mesure qu'il compose, rythme et danse, consonnes et voyelles, références et comparaisons. En écho aux techniques du peintre, Jean-Pierre Sautreau intègre à son écriture des fragments de la littérature éternelle. On note la présence, entre autres, de Laforgue, Verlaine, Nouveau et Rimbaud, de Cendrars et Kerouac, de Semprun et Modiano. Simenon et John Le Carré sont assis au café de la Paix en compagnie d'Aladin, Tintin et La Castafiore dans une atmosphère de rêve éveillé.

Tout ceci serait sans aucun doute suffisant pour susciter l'intérêt autour de Dérives immobiles. Mais cet ouvrage a, par rapport à d'autres également réalisés en duo, une particularité essentielle : dans une seconde partie du volume, les auteurs ont voulu nous faire partager le processus de création en y intégrant leur correspondance par courriels pendant l'année 2010. Des échanges touchants, précis et simples, empreints d'humour et du sentiment de camaraderie, marqués aussi par une certaine gravité, dans la mesure où les deux artistes étaient en souffrance, avec d'inquiétants problèmes de santé. L'unification de leurs visions, ce voyage dans le temps, ces Dérives immobiles auront sans doute contribué à les sortir de la douleur, et plus sûrement, indiquent au lecteur un chemin de vie.

Cette œuvre est constamment placée sous le signe du double : Bourasseau et Sautreau, J. - F. et J. - P., livre d’artiste et correspondance, peintures et poèmes, abstraction et figuration, palimpsestes et palissades, métaphores et utopies, espace et temps, papier et courrier électronique, intérieur ou extérieur, humour et sérieux, hernie discale et cancer, mot à mot et goutte à goutte, douleur et joie de vivre... et jusqu'au nom de l'éditeur Soc et Foc, terre et mer.

Toutes ces dualités ré-enchantent le monde, le mettent en lignimages, nous en font ressentir la présence. Et l'unité nécessaire se construit alors, d'une part, dans le plaisir de lirevoir ensemble tous les éléments du livre, et d'autre part, dans la vitalité de l'esprit qui parcourt cette poésure-peintrie,

Lucien Suel

vendredi 18 novembre 2011

Les Dérives immobiles ( suite)


une page de "les Dérives immobiles"

Les Dérives immobiles


Vient de paraître aux Editions Soc et Foc « Les dérives immobiles »

Textes de Jean-Pierre SAUTREAU autour des tableaux de Jean-François BOURASSEAU

Préface de Lucien SUEL

Propos de l’auteur :

Au départ il y a le peintre mais avant le peintre le photographe puis le poète :

En effet avant l’œil du peintre il y a l’œil du photographe. L’œil plus ou moins instantané dans sa sélection poétique. Que ce soit dans la série des « pans » ou des lieux, bien évidemment, même pour des raisons différentes, l’invitation à la métaphore ou à la transmutation est coexistante à ce choix. Ainsi pas de plus beau sésame, passe-muraille qu’entrez sans sonner. Pas de plus belle entrée dans l’imaginaire que la porte poussée d’un café ou d’un théâtre.

Le peintre lui transforme le support photographique en matériau pictural. Au fond il s’en débarrasse en le dramatisant. L’apparence prend feu, l’apparition prend chair. Il bouleverse ces impressions arrachées à l’intuition. La toile enflamme la photo. Le peintre déchire, colle, popote autour des coulures, des taches, rajoute ses jus acryliques ou ses noirs de café. L’œil englouti fait place à la vision.

Alors c’est du peint béni pour le poète invité à entrer sans sonner. Il suffit pour le poète de se faire prendre, surprendre par le tableau. De se laisser à son tour bouleversé par les émotions ou sensations qui se dégagent des toiles. Plein de fils s’offrent à lui qui deviennent chemins puis voyages. Ces dérives qui peuvent naître de l’imprégnation du tableau total, son atmosphère comme dans la jouissance du temps ou d’un détail comme dans le ventilateur poitevin. Alors le texte devient célébration ou histoire, parfois entrainées ou rehaussées en contrepoint de la technique du peintre par des collages de phrases d’auteurs célèbres.

Puis vous pourrez découvrir une seconde partie :

La correspondance échangée pendant toute l’année 2010 d’élaboration de ce compagnonnage artistique. Là il faut isoler le mot immobiles du titre, qui symbolise cette longue période pendant laquelle les deux amis travaillent et échangent, bloqués par leur problème respectif de santé. D’aucuns disaient et disent : il ne faut pas attendre que les poètes soient morts pour les lire…Cette correspondance est là pour bien montrer que, si j’ose dire, le peintre ou le poète sont des hommes comme les autres et que la création n’a rien d’éthéré et circule d’abord dans le sang et s’abreuve aux poumons et aux yeux. Que pendant l’acte créatif la vie continue mais de plus belle forcément.

Il restait l’éditeur :

Ce livre est le troisième édité par Soc et Foc. Pour un auteur avoir un éditeur fidèle et respectueux du travail réalisé n’a pas de prix. Mais l’équipe de Soc et Foc pousse toujours plus loin la recherche d’originalité et de qualité des ouvrages, tout en y associant les auteurs. Et dans notre société du numérique, où la poésie est pratiquement ignorée, il faut une audace et une volonté peu communes. Une conviction politique bien chevillée que c’est une contribution au ré-enchantement de notre monde.

vendredi 21 janvier 2011