mardi 31 mars 2009

Travailler tue

Le 26 mars 2009, un salarié de l’usine de porcelaine Deshoulières à Chauvigny s’est donné la mort, laissant une lettre expliquant sa décision par la trop grande pression professionnelle qu’il subissait. Ce salarié était délégué syndical et son geste intervient après un plan social très dur et des mois de lutte qui n’ont permis de sauver qu’une dizaine d’emplois sur les 82 licenciements programmés.
Pour ce cas qui émerge dans les médias, combien de suicides relatifs au travail sont simplement étouffés ou transformés en suicides pour des raisons privées. En effet, la plupart des désespérés ne se suppriment pas sur leur lieu de travail et ne laissent pas d’explications à leur acte.
Pourtant les suicidés du travail son nombreux, les statistiques parlent de un par jour, dans tous les métiers et niveaux d’emploi. Depuis des années, le monde du travail, à l’heure libérale est mis en accusation. Les entreprises contraignent leurs salariés à une course folle à la productivité et à la rentabilité. Le patronat dans un délire de compétitivité et de rémunération des actionnaires pilote ses troupes dans un climat permanent de guerre économique. Alors les salariés individualisés dans leur rémunérations, isolés dans la réalisation de leurs objectifs subissent une pression croissante qui les mènent à un stress de plus en plus déstabilisant et à une fragilisation dangereuse. Tous ne se suicident pas mais combien sont malades, connaissent de graves dépressions, se droguent ou prennent des tranquillisants.
Et ce n’est pas le terrible moment que nous vivons avec ses faillites et restructurations qui va améliorer ces conditions impitoyables avec leurs tristes conséquences sur la santé des salariés. Certaines études tendent à établir qu’une augmentation de 1% du chômage entraine une hausse de 4 à 5% des suicides.
Alors se pose de nouveau la question du travail et de son contenu. La crise en cours doit être l’occasion de revenir à l’esprit de ce slogan de mai 68 : « ne pas perdre sa vie à la gagner » Bien sûr sa lecture au premier degré éclaire très crûment le suicide au travail. Mais il s’agissait à l’époque de poser la question du sens du travail. Avec le temps, le travailleur est devenu ressource humaine, exploité avec la même férocité que les ressources naturelles. La personne a disparu des entreprises remplacée par un individu à la recherche de la maximation de son intérêt personnel. Avec le temps la valeur collective du travail a disparu. Avec le temps la société est rentrée dans la seule logique de la consommation pour la consommation, inventant au passage les besoins qui font chauffer la machine capitaliste et enferment les salariés dans le « travailler plus », toujours avec plus de pression pour en réalité perdre plus.
Cette crise doit être l’occasion de remettre en cause cet esclavage moderne. Le travail doit retrouver son esprit d’intégration dans le tissu social et de réalisation. L’entreprise doit redevenir un lieu de respect des personnes et de recherche des meilleures conditions de travail. Le « travailler plus » conduisant à la marchandisation des hommes comme de tous les biens doit devenir un « travailler tous » en réduisant fortement le temps de travail pour retrouver le temps de gagner sa vie dans l’épanouissement de ses propres passions, le temps de ses suppléments d’âme.
Cette crise doit être l’occasion d’une réappropriation collective du sens du travail et donc du sens de notre société.

dimanche 29 mars 2009

vendredi 27 mars 2009

St Quentin, chronique de l'Aisne ordinaire



Ma dernière humeur pouvait inquiéter Alain Minc. Le grain de blues d’un poète peut agglomérer dangereusement d’autres grains d’encre et faire large tache noire sur la belle nappe des gens biens. Mais qu’il me pardonne, ce sont les mots d’un pâle activiste tout dans la langue et quelque peu aigri, lui aussi, d’entendre aujourd’hui souffrir sa fille dans un contrat précaire et de la savoir, demain, grain à moudre dans la fournée des futurs nouveaux chômeurs de mai. Mais qu’il me pardonne d’éprouver quelque colère quand j’entends parler de « génération sacrifiée ». Sacrifiée par qui ?, comment ? Mais je sens que je me laisse, de nouveau, lâchement envahir par cette écœurante rancœur…J’oubliais…l’espérance.
Mais qu’il se rassure Monsieur Minc, le Président de tous les français veille et s’est réengagé, dans son discours de St Quentin, à protéger de son clinquant bouclier fiscal tous les malheureux boucs émissaires comme lui et autres injustes victimes de la crise et des prompts moralisateurs de tout poil. Derrière le rideau de havane des quelques collusions médiatiques, de circonstance, avec les cloueurs au pilori de quelques parachutés en or, il peut ronfler tranquille. Après la crise, le capitalisme renaitra encore plus beau de ce sacrifice obligé et provisoire à la grogne, à ses yeux, populiste.
Mais qu’il se rassure Monsieur Minc, le Président de tous les français, même d’un, Yvan Colonna, qu’il suit plus affectueusement depuis longtemps, surveille et a répété à St Quentin que la liberté c’est de pouvoir vivre sans avoir peur. D’ailleurs pour mieux s’en persuader lui-même, il avait aussi invité à son grand meeting 1400 policiers, mais à l’extérieur. Donc chaque Français va pouvoir vivre sans la peur du chômage, de la précarité, de l’exploitation au travail…à moins que ce ne soit la possibilité de vivre sans la peur de se voir contester la rente acquise dans ces belles décennies libérales.
Mais qu’il se rassure Monsieur Minc, Le président de tous les français a aussi déclaré ce jour là : « Dans une démocratie comme la nôtre le recours à la violence est inacceptable »… « Désormais la seule appartenance à une bande pourra être sanctionnée pénalement d’une peine pouvant aller jusqu’à trois ans de prison.. » De quoi calmer tous ces excités des plans sociaux qui pourraient avoir l’idée d’occuper nos belles usines et séquestrer les entrepreneurs courageux dont la ligne bleue de l’action n’est surtout pas leur seul point de mire.
Décidemment, je dois réfléchir. Le fait d’agglomérer des grains d’encre à des grains de blues ne pourrait-il pas constituer le chef d’inculpation pour création de bande. Et une bande de poètes ça fout la trouille.
Alors pour ma fille ? Je peux poèter tranquille, le Président des français s’en occupe personnellement, il l’a dit à St Quentin. Bientôt elle va pouvoir vivre sans la peur du lendemain.

jeudi 26 mars 2009

La trouille du grand soir

« Mesurez-vous que le pays a les nerfs à fleur de peau, que les citoyens ont le sentiment, fût-il erroné, de subir une crise dont nous sommes tous à leurs yeux les fautifs ? Ignorez- vous que la quête des boucs émissaires est une constante de notre histoire et que 1789 se joue en 1788 ? Sentez-vous le grondement populiste, la rancœur des aigris mais aussi le sentiment d’iniquité qui parcourt, comme une lame de fond, le pays ? Voilà la dernière tribune adressée par Alain Minc à ses amis patrons et financiers.
Comment ne pas se réjouir de sentir dans les propos de cet éternel opportuniste une vraie trouille de voir, de nouveau, rouler sur le pavé parisien les têtes de quelques uns de ses amis, la sienne peut-être. Comment ne pas rire de le voir défausser de toute responsabilités ses complices du libéralisme le plus sauvage, vrais faux fautifs, boucs émissaires, que d’affreux populistes, de rancuniers aigris guettent le couteau entre les dents. Comment ne pas se réjouir que des cauchemars de grand soir puissent hanter leur nuit de satin ?
Oui Monsieur Minc et ceux de votre classe dirigeante le danger est à vos portes. Pendant des décennies vous avez capitalisé sur l’instumentalisation des ressources humaines, pendant des décennies vous avez édifié un modèle économique avec pour seule finalité l’accumulation de biens et l’augmentation du profit, détruisant lentement la planète. Pendant des décennies, vous avez arraché des esprits, en ne mesurant la réussite individuelle qu’à l’aune des avoirs, toutes les valeurs collectives, notamment la solidarité. Dans vos entreprises, l’individu est nié, soumis à la seule satisfaction des actionnaires. Pendant des décennies vous n’avez bâti qu’un château de sable capitaliste. Et vous voudriez que les milliers de travailleurs qui sont, tous les jours, lourdés de votre système n’aient pas de rancœur ? Et vous voudriez que les jeunes qui bouchent les pôles emploi n’aient pas comme un petit sentiment d’iniquité ?
Oui, pendant des années, la hantise de votre chômage a freiné les barricades, mais maintenant que votre idéologie est à terre, la peur du lendemain va peut-être changer de camp. Avec quatre millions de chômeurs bientôt et leurs familles à côté ça fait du monde face à votre classe dirigeante…

mercredi 25 mars 2009

La mer contre l'oreille


La mer contre l'oreille
dans l'étendue des couleurs
tu longes le monde
éclaboussé de musiques.

mardi 24 mars 2009

Le bouclier kangourou



Suivant son flair particulier, après Bush II, fin décembre 2007, Nicolas Ier se précipitait dans les jupes de Benoît XVI, en compagnie de l’élégant slipé kangourou Bigard. Notre Saint Ego venait se faire introniser (ouille !) chanoine de Latran.
Au passage (aïe !), le nouveau galant de la fille ainée de l’église n’avait pas mégoté sur les déclarations les plus détonantes et provocatrices comme : « sachez que nous avons au moins une chose en commun c’est la vocation…je partage l’avis du pape quand il considère que l’espérance est une des questions les plus importantes de notre temps…dans la transmission des valeurs et dans l’apprentissage de la différence entre le bien et le mal, l’instituteur ne pourra jamais remplacer le pasteur et le curé… »
Déjà suspects fin 2007, ces propos reprennent, aujourd’hui, de drôles de couleurs. Notre élu de la république et du ciel épouse-t-il les pas d’un chef de divisions qui se soucie comme d’une guigne de l’espérance de la vie humaine ? Cultive-t-il avec lui les promesses d’un au-delà meilleur qui justifieraient l’acceptation fataliste d’un éventuel chemin de croix terrestre ? D’ailleurs, en développant le concept de « laïcité positive » et en donnant aux représentants des églises un plus grand poids moral qu’au maître laïc, n’abdiquait-il pas les valeurs de la république au profit d’une pensée et d’un système ecclésiastiques susceptibles de cimenter la cohésion sociale.
En pleine crise de foi dans le capitalisme et de remise en cause des dogmes libéraux, il faut, plus que jamais, veiller à ce que les vieux relents traditionnalistes ne viennent pas polluer les défenses laïques de l’Homme.
Parlant d’un de ses spectacles, Bigard dit qu’en bon explorateur, pour exprimer l’âme secrète, il va regarder dans le slip. Pourrait-il alors éclairer notre lanterne sur les choses réellement en commun avec le Saint-Siège ?

lundi 23 mars 2009

My funny Valentine















le bleu par dessus l'âme
met au clou l'ange
balade dans la chair
la fêlure du juke-box.

dimanche 22 mars 2009

faites la mort!

Il y a le feu au ciel. 52% des cathos sondés (avec ou sans ?...) même les pas scatos, tournent le dos au Saint-Père. Faut dire qu’après ses douteuses saillies sur l’intégrisme et le viol Brésilien, notre papa mobile homme s’est décalotté d’une nouvelle inquiétante pollution nocturne, faisant large tache chrêmeuse sur l’Afrique noire. Sa nouvelle position au pays du missionnaire lui attire tous les foutres de la planète. Car cette sainteté qui vient d’enregistrer déjà deux victimes au stade de Luanda ne compte pas en rester là. Son petit coup de pouce génocidaire devrait précipiter nombre de mauvais chrétiens néanmoins joyeux forniqueurs dans les charmes insondables de la vie éternelle. A moins que le Tribunal pénal international ne lance un mandat d’arrêt et ramène sur terre ce branlant de la calotte. L’église qui par ailleurs, encourage le « aimez-vous les uns les autres », a toujours eu du mal avec le dessous de la ceinture, cachant même honteusement la pédophilie de certains de ses membres. Mais les dérapages papaux traduisent surtout un déphasage sociétal et une méconnaissance scientifique graves qui mettent à bas toute la prétendue autorité de cette église. Si le sexe le titille que Benoît se tourne vers les mafias de la prostitution et laisse l’amour choisir sa sexualité et sortir couvert.

vendredi 20 mars 2009

Au rouge des blés


Au rouge des blés
ta robe s'est prise
renversant le ciel
sur nos peaux nues.

mercredi 18 mars 2009

Mathieu Corp




Mathieu Corp poursuit ses études à Paris, il veut « être photographe ».
Il inscrit son travail dans les pas du grand photographe américain Saul Leiter.
Comme lui, il laisse ses « sentiments appuyer sur le déclencheur ». Son travail évoque une flânerie musicale, avec ses notes de jazz, ses touches de piano, ses grains de voix populaires. C’est un voyeur d’instants poétiques, un voleur d’instants fugitifs. C’est un passeur de vibrations, un révélateur d’abstractions colorées. Il réussit à rendre une vision esthétique bouleversant notre présence aux choses, aiguisant notre sensibilité au monde. C'est un créateur d'imaginaires. Ses couleurs sentent le pigment, ont la sensualité de peintures sur motif. Il réussit magnifiquement à faire de la photographie l’art d’ écrire avec la lumière.
Mathieu Corp est un photographe!

lundi 16 mars 2009

Arrêt sur mots

Ce mardi 10 mars, en franchissant le portique de sécurité de la maison d’arrêt de La Roche-sur-Yon, pour faire une lecture, avec quatre autres ami(e)s, dans le cadre du printemps des poètes, j’ai repensé à Serge Livrozet.
Serge Livrozet est un militant de longue date de la cause des détenus. Il a connu sa première centrale à 22 ans, puis il a été de nouveau condamné en décembre 68 à quatre ans d’enfermement à La Santé et à Melun pour… « crime contre la propriété ». Le libertaire s’était attaqué, au capital et à ses coffres-forts pour créer… une maison d’édition indépendante afin de pouvoir mieux faire passer ses idées.
Ses idées, il les exprimera à sa sortie avec son ami Michel Foucault à travers le comité d’action des prisonniers CAP, puis il participera à la création de « Libération ». En 73 il publie son premier livre « De la prison à la révolte ». Il luttera ensuite contre les QHS et la peine de mort. En 1981, il crée sa maison d’édition qu’il perdra quelques années plus tard, accusé, avant d'être blanchi, de faire de la contrefaçon de billets.
En 2000, il a fait ses premiers pas de comédien couronné dans « l’emploi du temps » de Laurent Cantet.
Ce mardi 10 mars, j’ai repensé à cet homme révolté que j’ai rencontré en juin 84 dans son imprimerie Parisienne. Il m’avait édité un recueil de poèmes à sa belle enseigne « Les lettres libres », dans lequel, il y avait ce poème :

Matin commanche
soleil scalpé
plus d’os dans la manche
Le monde est un vieil as
que la mort ronge
âme de pierre hache le ciel
l’homme déterre sa préhistoire
paroles sur le sentier de la guerre
archipel des larmes
manque le calumet de l’amour
pour s’en aller en paix.

Ce mardi 10 mars, nous avons partagé de la poésie avec onze détenus dans une petite salle « de classe » comme une île dans cette prison à l’ancienne, à l’architecture d’un vieux film en noir et blanc, cellules distribuées en ovale, lourdes portes barrées de verrous et gâche centrale, escalier et rambarde de fer, filets en dessous donnant à l’ensemble un air d’intérieur de lourd navire en cale.
Ce mardi 10 mars, nous avons partagé des sourires et des rires, beaucoup d’humanité, la liberté des mots et le très grand espace des pages avec des hommes enfermés dans le métal, serrés à trois ou quatre dans 9m2, avec un wc et un lavabo.
Ce mardi 10 mars, quatre tables avaient été disposées pour la lecture traçant un carré de 9m2.
Ce mardi 10 mars, nous avons quitté une prison ayant un taux de 220% d’occupation.
Ce mardi 10 mars, nos lettres libres ont rendu des êtres libres pendant deux heures et j’ai repensé à Serge Livrozet, éditeur de poèmes.
Ce mardi 10 mars la pluie faisait des barreaux.

dimanche 15 mars 2009

Mieux vaut en rires

Fête de la musique, nuit des musées, journée des jardins… notre pays adore ces moments totems de grande communion à « l’exception culturelle Française ». Ainsi chaque année, depuis onze ans, un peu avant l’hirondelle, les poètes, du 2 au 15 mars connaissent leur printemps. Leurs livres soudain revoient la lumière d’un visage, leurs mots sentent à nouveau la chaleur d’un corps, leur musique retrouve les notes d’une âme. Des écoles aux cafés, des halles aux bureaux de poste, dans tous les lieux on effeuille passionnément leurs poèmes. Du 2 au 15 mars, on découvre que les poètes ne sont pas tous morts et que même beaucoup font de la résistance pour écrire jusqu’au printemps suivant en espérant que cette floraison printanière ne cache pas leur forêt de feuilles. Mais souvent les poètes préfèrent en rire !

Si on me demande ce qu’est un poète, dit Jean L’Anselme, je réponds :
Qu’un poète c’est quelqu’un qui ne passe jamais à la télévision parce qu’il n’est pas connu et que, s’il n’est pas connu, c’est parce qu’il ne passe jamais à la télévision.
Que c’est quelqu’un qui se lève la nuit pour un besoin d’urgence, où on a aussi besoin de papier, pour se mettre à compter ses pieds sur ses doigts et sur ces mêmes doigts…ceux qui les lisent.

En cet avant printemps Bashung est parti rejoindre son pote Gainsbourg le poète de « l’art mineur », alors à toutes le Gaby et toutes les Joséphine seules maintenant à l’arrière des limousines, je dédie cet« amour fou » de Jean L’Anselme :

« Je suis à toi comme la sardine est à l’huile
le maquereau au vin blanc, le loup au fenouil
le brochet au beurre blanc.
Je suis à toi comme la glace est à la pistache
le poulet aux hormones, la soupe à la grimace
mon père avec la bonne.
Je suis à toi comme le vinaigre est à l’estragon
la pêche à l’espadon, la salade aux lardons
les gaîtés à l’escadron.
Je suis à toi comme le moutard à sa nourrice
le motard à la police, les aristos à la lanterne
les peupliers à la poterne.
Je suis à toi comme le yaourt est à la vanille
ton sexe au parfum de glaïeul, le petit salé
aux lentilles, la mémère à son épagneul.
Je suis à toi comme tu es à moi, comme le ver
est à soie, comme l’avenir est à nous
comme le garde est à vous, comme le train
est à l’heure.
Je suis à toi
comme le tique est aux bœufs
on dit n’importe quoi
quand on est amoureux. »

mercredi 11 mars 2009

En attendant le grand soir poétique!

Dans L’hiver 1976, voilà ce qu’écrivait dans "Vers le matin des cerises" le grand poète André Laude, récemment disparu :

Une haine folle ravageuse de plus en plus souvent m’inonde
une haine vigoureuse comme une marée
une haine plus haute que les tours des architectes modernes
une haine pour tous ceux qui à coups de haine détruisent
le temps et la face de l’homme.

…une haine comme un fleuve qui un jour
entrera dans la ville
où les hommes danseront pour la neuve liberté
et plantera enfin un chêne clair dans le sol fertile.

En cet hiver 2009, Certains jeunes, pour survivre, s’invitent aux buffets des vernissages, vendent leurs petites culottes sur internet. On parle de combines pour temps de crise, presque avec le sourire...
Aux Etats-Unis, on a constaté une augmentation de 30% des dons de sperme…
Mais derrière, qui va fouiller dans le don d’organes, dans la prostitution des jeunes ?

Il y a quelques semaines un jeune diplômé sans emploi, après cinq mois de recherche, vingt entretiens et « 300 candidatures » s’était mis lui-même aux enchères sur eBay. Il y a quelques jours un senior ex directeur financier au chômage proposait à un éventuel futur employeur un « bon de réduction » de 50000 euros sur son embauche (500 euros par mois sur environ dix ans). Ce sont, bien sûr, des cas isolés médiatisés, mais qui mettent en confrontation la violence de la société et la dignité humaine, car ces actes ne risquent-ils pas d’appeler à la surenchère? Verra-on demain dans les locaux d’un pôle emploi, un jeune menacer de s’immoler?
Un récent reportage télévisé montrait l’organisation de marchés sauvages dans la capitale où des pauvres proposent à des plus pauvres pour quelques euros des produits alimentaires périmés, venant des de la grande distribution.

En attendant le large fleuve nettoyant les écuries financières et le grand soir poétique, récemment appelé par les écrivains ultramarins, Patrick Chamoiseau ou Edouard Glissant, reprenons un peu de Jean L’Anselme qui dans son « Discours sur la poésie », à propos de l’utilité de la poésie écrivait : « Si on me demande si la poésie est utile, je réponds que Baudelaire me fait sourire quand il affirme qu’il peut se passer de manger pendant plusieurs jours, mais qu’il ne pourrait pas vivre sans un jour de poésie. Je pense, moi, qu’entre un bol de riz et un livre de poèmes, il faut d’abord dévorer le bol de riz mais, qu’à partir de ce moment, le livre de poésie a alors, autant d’importance que le bol de riz. »

mardi 10 mars 2009

Le marché aux insectes

Il y a le marché de gros, ventre de Paris, le marché provençal avec accent, le marché au gras où le foie est de couleur blonde et le marché de la poésie où la foi est couleur d’encre et bien chevillée au corps de joyeux rebelles. Ainsi Michel-François Lavaur, ce fou de poésie qu’on pouvait rencontrer dans les allées de La Manufacture ce week-end à Nantes. Celui que Louis Dubost baptise « le père Noë de la poésie », fabrique et anime, depuis 1960, une revue traces dans laquelle, outre ses propres poèmes et dessins, il a publié des centaines d’auteurs. MFL est né le 11 juillet 1935 dans le 19 à St-Martin-La-Méanne et vit depuis dans le 44 à Le Pallet au lieu-dit Sanguèze dans sa « fourbithèque » à poésie. C’est là que l’ancien instituteur corrézien de naissance a lui aussi laissé entrer dans son bestiaire le grillon :

« L’aile de la toiture enveloppe la vieille et ses oripeaux. La maison-grange-étable-fournil se blottit contre le flanc de la châtaigneraie au nid d’un pli de la montagne. Poule auprès d’un poussin esseulé, la forêt couve le mas de la petite ferme. La vieille se meut dans un monde clos sans une discordance, mais non sans efforts, non sans combats. C’est la dernière paysanne de la Gaule au siècle des vaisseaux interplanétaires. A peine mieux vêtue. A demi sauvageonne. La vieille est un fossile et ne le sait pas. Les guerres ont pris son homme et ses fils. Elle vit de peu. Elle connait tous les cailloux des sentes à moutons. Les bolets ni les hases ne sauraient lui cacher leurs gîtes mais jamais elle n’osa franchir les limites des paroisses voisines. Son domaine est étroit et sans doute au cantou seulement elle est vraiment chez elle. Elle est assise au coin du feu, les pieds sur les chenêts. Elle tisonne. Elle tisane. Les douleurs lui ont fait une carapace. Elle ne saurait dire si elle est malheureuse. Elle est bien, porte close, chienne et chatte endormies, quand chante le grillon dans une fente au bord de la pierre d’âtre. »

Ce même jour, échangeant avec Serge Wellens, autre grand résident des mots, à propos de cuisine aux insectes, il m’a raconté cette savoureuse anecdote : Alors qu’il voyageait dans le Sahara, il s’est vu un soir proposé sur un plateau une dizaine de grillons préparés et alors qu’il s’apprêtait à en choisir un, il a entendu son hôte lui dire : « prenez plutôt celui-ci, il est meilleur » ...

dimanche 8 mars 2009

Journée de la femme au bord des lèvres

Le cantique

Et toujours ton corps à paysager
dans mon Regard : seins-collines
sous la laine et les épaules moutonnent.
Chevelure en cascade, lierre brillant.
Vallon de la taille où voltigent les mains
par les feuillages. Habiter les roseaux
les mousses, rejoindre la fraîcheur âcre
sombrer en profonde liesse. Accords et cris
d’âge en âge, plus haut que la mort.
Amour incessant comme la sève.

Colette Nys- Mazure

Le pont de neige (extrait)

Dans le cercle des bouleaux
La petite scie des criquets
Accompagne la tiédeur, l’allonge
Jusqu’au soir.
Je lâche les rênes, me laisse
Enlacer par le calme
En suspens dans les feuilles
Et m’enracine dans leur rêve.
Il reprend
Inlassablement
Ma nostalgie.

Jeanine Salesse

Une manière d’aile (extrait)

Une manière d’ailes
Qui se déploie
D’elle en lui
Une longue étreinte
Du corps sur lui-même
Je suis
Votre rêve
Une manière d’elle
Mésange bleue
Dans le ciel vide
Blonde et homme
Femme au bord
Des lèvres.

Patricia Cottron-Daubigné

vendredi 6 mars 2009

L'enfance sous la dent

Il y peu, un chroniqueur de France Inter évoquait une éventuelle nouvelle tendance culinaire : la cuisine aux insectes, citant un restaurateur de Guidel proposant à sa carte un menu à 15€, apéritif agrémenté de grillons frits, pizza au ténébrion pilé, criquets ou phasmes roulés au chocolat.
Bien sûr, l’entomophagie existe dans bien des pays. Mais imaginer dans la friture le grillon qu’on chatouillait d’un brin d’herbe, qu’on caressait doux et précieux dans la main, qu’on glissait aussi dans sa boite d’allumettes sous le pupitre d’école donne soudain un drôle de goût à mes rires d’enfance. Mais entendre craquer sous la dent ce petit chanteur de nos cheminées et portes, vénérés en Chine ou au Japon, attriste mes petites musiques d’étés dans les coquelicots.
Bien des poètes ont chanté le grillon, Lamartine, Laforgue, Lorca, le merveilleux Rimbaud dans « les effarés » et puis René Char En 1943 dans le maquis :

Hommage et famine

Honneur à vous, femme
Qui vous accordez avec
La bouche du poète, ce torrent
Au limon serein.
(Il faisait nuit. Nous nous étions
Serrés sous le grand chêne de larmes.
Le grillon chanta. Comment savait-il
Solitaire, que la terre, n’allait pas
Mourir, que nous, les enfants sans
Clarté, allions bientôt parler ?)
Il savait.

Le phasme cet étrange insecte caméléon a eu, lui, pour chantre Serge Wellens :

Quelqu’un qui fait tant d’efforts pour ressembler à quelque chose ne peut, à la longue, qu’attirer l’attention.
A la discrétion de la greffe qui le scelle à ce rameau, on connaît que le phasme est fou.
Quand même, se vouloir brindille avec de telles mâchoires !... mais c’est ainsi, le phasme met tout son orgueil à n’avoir l’air de rien et la plupart des prédateurs s’y trompent.
La plupart seulement. Non le feu de broussailles dont la boulimie est aveugle et sans nuances.

jeudi 5 mars 2009

La poche de la terre

Cet été, lors d’un conseil de l’UMP, son secrétaire adjoint avait déclaré à propos de Ségolène Royal qu’elle avait « l’humanité d’un bigorneau ». Est-ce cette singulière attaque qui a conduit les scientifiques à s’intéresser de plus près à ce petit gastéropode ? En tout cas ils viennent de constater que le réchauffement climatique ramollissant progressivement sa coquille, le bigorneau qui s’agrippait contre dents et marées aux rochers, se déplace maintenant plus vite pour éviter d’être trop facilement croqué. Est-ce aussi un défaut de la cuirasse qui conduit notre diva socialiste à franchir les hémisphères plus vite que son ombre Martine, ceci est une autre histoire. Pour revenir au réchauffement de la planète, on apprend en même temps que la gente scientifique envisage le début de la fin de l’hibernation des marmottes comme la disparition programmée de certaines espèces de kangourous.
Là, il faut vite relire le grand Alexandre Vialatte : «Que serait l’homme sans le kangourou ? Sans le kangourou, l’homme n’aurait jamais su qu’il ne possède pas de poche marsupiale. Le kangourou et le jardinier sont seuls à se distinguer par une poche marsupiale. Le jardinier y met son raphia, la sarigue y loge ses enfants. «Où peut-on être mieux qu’au sein de sa famille ?» dit- elle en les mettant dans son sac comme du sucre dans le sucrier. La poche du jardinier s’ouvre en large ; celle du kangourou s’ouvre en long. Mais jamais le fils du jardinier ne vient loger dans la poche de son père».
Et nous petits d’étoiles, combien de temps encore pourrons-nous loger dans la poche de la terre ?

mercredi 4 mars 2009

Posologie du poète



Mal de Rimbaud
Prendre un mot par jour
Dans un vers d’o
Au moment du coucher
Sur la page.

mardi 3 mars 2009

Réalité télé

Certains soirs de vigilance sans doute trop émoussée par une journée perdue, on se surprend à ouvrir machinalement l’eau tiède du 20 heures. Et là on découvre un visage dont les yeux vous fuient pour l’aimant d’un prompteur et dont les lèvres bruitent le surgissement d’images d’un accompagnement verbal le plus morne possible pour ne pas troubler le bruit des bouches qui volent de soupe en poires. Et là on s’installe dans l’ingurgitation, de minutes en minutes, de sujets qui vont régulièrement vous brûler l’estomac, vous soulever le cœur, vous filer des bouffées de colère, gâcher définitivement un jour que vous saviez déjà marqué à la pierre noire. Alors qu’on se croyait déjà bien préparé aux ruines du monde, à ses frénésies grossières, à ses clinquants provocants, alors qu’on s’imaginait blindé à la barbarie et à la bêtise humaine, on voit creuser encore le fond de l'inhumanité quotidienne.
Ainsi au journal du 25 février 2009, il fallait avaler, en hors d’œuvre, l’indigeste bond des nouveaux chômeurs de janvier à 90000, mais exprimé avec la neutre tonalité de l' annonce d'un nombre de spectateurs à un quelconque concert et définitivement éteint par une insipide interview de la ministre Lagarde, en plat principal, l’écœurante mais réelle dernière histoire belge, l’organisation d’un concours Miss SDF Belgique 2009 et pour finir, diamant sur le dessert, la vente de Pierre Bergé et ses 375 millions d’euros sortis des poches dorées d’Asie, de Russie ou du Moyen Orient.
Ce soir là, bien barbouillé, ont tourné et retourné dans mon cœur les visages de ces nouveaux 90000 exclus du sinistre « travailler plus » malheureux futurs locataires du pôle emploi, sans doute submergés devant leur écran par cette vague ostentatoire d’argent et marqués par la mascarade de la misère des rues belges et j’ai eu envie de gerber sur cette sinistre lucarne du monde.

lundi 2 mars 2009

boggie blues/5


Ce que des yeux tu touches
S’enflamme, court
Le long des nerfs
fait entrer le ciel
Son flot de silex
Dans le flou du voyage

dimanche 1 mars 2009

boggie blues/4


Je lis les paysages
Sur les lèvres des mots
A travers leurs visages
Je poursuis le temps
Je soude les indices
D’un polar de gare.

Quand il est mort le jardinier

Longueur ou rudesse, chacun mesure l'hiver à son propre mercure. Mais il suffit de l'alignement de quelques soleils, à la mi-février, caressant l'échine, pour ébrécher l'argile impatient du jardinier et réveiller dans son sang mille fourmis ouvrières. Et le voilà tournant autour de ses carrés vierges comme un poète autour de ses pages neuves, humant l'air frais, goûtant le mot "matin" avant de plonger sa bêche sous la croûte pour retourner un noir profond et gras.
Puis quelques pages terreuses tournées s'asseoir contre le vieux poirier pour relire Lucien Suel dans La Mort du jardinier : "Tu arraches l'ail les oignons et les carottes comme si tu tirais la queue-de-cheval de ta sœur... tu pèles une pomme en regardant par la fenêtre le chat noir qui avance en rampant vers une proie invisible, il tortille du derrière, s'arc-boute et soudainement bondit, le malheureux troglodyte a dû mourir sur le coup... avec le râteau à l'endroit cette fois, tu caresses doucement des dents la terre de chaque côté du sillon pour recouvrir les graines de laitue, tu es seul à savoir ce qui se cache là-dessous, tu sais aussi que dès cet instant l'humidité commence à ramollir la cutucule de chaque graine et que la température est suffisante pour déclencher le programme de l'adn végétal, tu n'as pas d'explication définitive pour ceci, tu acceptes le don de la vie... tu écris de nouvelles pages dans la terre du jardin, tu rédiges des brouillons successifs, tu élagues, tu mets au propre, tu relis tu déchires, tu chiffonnes des boules de papier, tu jettes au fumier, tu recommences, l'écriture te nourrit, tu rédiges les versets de la terre, tu graves dans la glaise, ton corps est ton dernier volume, les rides et les cicatrices, les plis et les replis, les bosses et les creux racontent ton histoire et celle de tes frères."
Longueur et rudesse, chacun mesure l'hiver à son propre mercure. Mais il suffit de l'alignement de quelques mots, à la mi-février, caressant le cœur, pour ébrécher la grisaille des jours et éveiller dans l'âme mille abeilles butineuses.