samedi 28 avril 2012

Les réveils douloureux


Si on tente de dilater le quotidien, en secouant la neige des cerisiers ou en traçant dans la page jardinière une ligne verte, c’est bien parce qu’on est, depuis toujours, prévenu des possibles réveils douloureux. De ceux qui vous font rechuter dans la plus poisseuse réalité. Qui vous empâtent mauvaisement la bouche, vous empoisonnent le sang. De ceux qui meurtrissent vos lèvres, vous ravalent au rang de loups.
Pourtant au moindre rayon on feint de croire au recul de l’ombre, à la moindre déchirure bleutée, au retour de l’âme pour faire le printemps. Mais la nuit est têtue dans le cœur de l’homme. Le brun reste de matin. On est englouti par cette propension de l’humain à choisir la haine pour soulager ses maux plutôt que l’insurrection de la solidarité, la fraternisation des élans.
Alors il faut, encore plus, refuser de baisser les mots. Contre vents mauvais et marées amères, derrière la fleur blanche viendra le temps chargé de cerises. Viendront les voyelles fertiles dans les grappes vermillon. L’alignement des semis mettra feu clair à la page.


jeudi 26 avril 2012

Le repas du fauve



Ce temps est déraisonnable. On voit les loups à table. Toute l’Europe s’entache de brun. Sur la crise des immondices libérales, la charogne becquète. Comme toujours dans l’Histoire avec les mêmes conséquences funestes pour les pauvres gobeurs. Victimes d’idéologues uniquement préoccupés non du sort public mais de leur puante destinée. Ni la colère, ni la désespérance, aucune bonne raison ne peut justifier la vente de son âme. Nul aujourd’hui ne peut prétendre agir sans savoir. Tout est dit, tout est écrit. Nul aujourd’hui ne peut prétendre ne pas comprendre la simplification coupable, la réduction vicieuse des discours. Alors, s’il faut d’abord dénoncer ceux qui s’avancent masqués, il ne peut être question d’excuser ceux qui refusent de voir, pire qui trouvent plaisant de hurler avec les premiers. On ne peut banaliser une saute d’humeur qui assoit ainsi les charognards. Dans ce cloaque on ne doit retrouver ni la jeunesse ni la classe ouvrière, au pire les nantis, les emperlousées des côtes, les peureux du magot. Bien sûr ce temps est déraisonnable où la sanctification de l’argent a bouffé les âmes, où la séduction de la consommation a vidé les cerveaux disponibles, où l’individualisme frivole a dynamité le sens des autres. Bien sûr ce temps devient sans morale, abandonné soit à la dépression soit à la violence. Mais n’allons-nous pas ainsi vers un étouffement collectif, une mort du vivre ensemble ? Croyons-nous à la fin, malgré toutes ces reniements et turpitudes l’HOMME intouchable ?
Alors que dire de celui qui maintenant pompe sans complexe la voie haineuse de l’autre ? Celui qui, ainsi, s’essuie les talonnettes sur une de nos trois valeurs républicaines, la FRATERNITE ? Son puant petit manège le disqualifie pour diriger une France qui doit rester fraternelle au-delà de ses difficultés car elle a les moyens, dans la recherche d’un partage équilibré, de répondre aux légitimes angoisses.

mercredi 25 avril 2012

Rire mais pas avec tout le monde...


Nos buts sont déjà fixés:
Réconcilier les oeufs brouillés
Faire que le veau d’or puisse se coucher
Apprendre aux chandelles à se moucher
Aux lampes-pigeons à roucouler
Amnistier les portes condamnées
A l’exception des portes manteaux
(tiens ça rime pas, ah oui je sais:)
C’est pour ça qu’y peuvent s’accrocher
Exiger que tous les volcans
Soient ramonés une fois par an
Simplifier les lignes d’autobus
En supprimant les terminus
Et pour prouver qu’on n’est pas chiches
Faire beurrer tous les hommes-sandwichs


mardi 24 avril 2012

Chronique de la dérive douce



Je ne suis pas déçu mais perplexe du fait qu’on soit obligé de se lever si tôt pour simplement gagner sa vie. Je pensais que la pauvreté était une des conséquences de la dictature, et qu’ici on était passé à une autre étape. On est en 1976. Dany Laferrière a 23 ans et débarque à Montréal fuyant Haïti. Un homme marche en parlant tout seul. Je le suis. Il m’amène à la soupe populaire. Mon instinct ne m’a pas trompé…Ce type me signale qu’il y a un policier au coin de la rue.-Pourquoi me dis-tu ça ?-Écoute l’ami, t’es noir, t’es pauvre, et t’as pas l’air d’un délateur…Le jeune immigré note ainsi, par petites touches incisives et poétiques son nouveau quotidien, sa confrontation avec le dénuement et le racisme. Comme avec l’âpreté climatique : J’écris à ma mère au début de février pour lui faire part que je vis dans un réfrigérateur avec six millions de gens. Ou la crudité sociale : Dans cette usine située à la sortie de la ville, où le recrutement se fait de bouche à oreille avec une préférence pour les sans-papiers, la loi ne pénètre pas. La lumière du jour non plus. Toutes ces notations font la chair d’un livre publié en 1994, « Chronique de la dérive douce ». Dans ce monde plutôt brut, le titre pourrait intriguer. Mais le livre baigne dans la sensualité des initiations des corps : Julie danse pieds nus sur le plancher sale de la cuisine. Je suis assis avec un verre de vin. Le soleil rouge dans l’encadrement de la fenêtre. Une tristesse chic. La lumière des frottements de sa peau noire contre les peaux blanches éclaire toute la chiche vie de l’auteur. J’ai passé la nuit à errer autour de ses fesses sous la lumière blafarde de la lune pour finalement plonger la tête le première, jusqu’au fond du puits, là où la lune ne luit jamais.

Le livre à peine refermé, j’ai aussitôt envoyé un message à ma fille qui me l’avait offert pour mon anniversaire. Il me semblait qu’il te plairait. On reçoit chaque cadeau comme une marque d’amour. Mais dans un livre élu circule un fluide singulier. Dans un livre choisi, l’invitation à partager un plaisir éprouvé corps et âme.
Au bout de très peu de pages j’ai eu le sentiment que ce livre était pour moi. J’ai très vite été dans la joie. Dans l’émotion. Dans l’enchantement de la langue. Très vite le livre m’a envahi l’esprit, coulé dans le corps.
Oui, il m’a beaucoup plu ce livre avec dans son flux les ondes subtiles de ma fille. Avec dans sa chimie les grains de nos sentiments complices. Avec dans sa distillation le même bonheur rare. J’ai finalement reçu ce cadeau comme la dérive douce d’un cœur qui ressent mes propres battements.




samedi 21 avril 2012

Dans le jardin de mon père / 5 / Tu n’useras pas ton manche.




Si me prenait quelque marotte généalogique, je choisirais d’asseoir ma parentèle dans un châtaignier. Papa, sur la première branche, qui élisait cette rude essence pour le manche de ses outils. Il coupait le bois en hiver, sève retombée et lune descendante. L’écorçait au couteau. Puis le laissait sécher jusqu’au printemps avant de l’ajuster au fer.
Je retourne encore ce bois bien luné, jauni aux endroits des poignes. Je revois ses mains noueuses sur sa douceur de peau. Je caresse les nodosités longuement adoucies par la lame, petites bosses plus brunes. A ces endroits s’embranchent toujours ses gestes et conseils comme :
« N’oublie jamais ton outil dans la terre. Ta tâche finie, rentre-le au sec dans la cabane. Tu n’useras pas ton manche. »
Il aurait pu dire : « ton manche te survivra ».

tableau de "CAMELUS"

jeudi 19 avril 2012

Mignonne allons voir la nécrose...

Vivement demain que tombent le couperet et la tête du suivant dans la sciure des écrans. Que s’écroule le rideau sur la boutique des médiocrates. Ces cranes bien faits pour la maigre rogne et le bonheur minuscule, le blabla digressif et le chichi consumériste. Ces cyniques triviaux aux idées baladeuses. Ces harangueurs d’estrade et autres postillonneurs acnéiques.
On attendait simplement une parole incarnée dans ce sale temps financier. Une vision abrasive de notre nécrose sociale. Une pensée instillant une révolte devant la pornographique de nos inégalités.
En cet avril, même un peu frisquet, qui fripe et giboule dans des ciels d’acier, on aurait tant aimé des éclats jaunes et lilas, des couleurs qui retentissent aux âmes citoyennes. Des voyelles siffleuses et des verbes dans les fruits du cœur. Du rouge à lèvres sur les drapeaux et un grand trait de plume noire sur le passé

mardi 17 avril 2012

Cerisier blanc



Comme souvent on n’a fait qu’accompagner le squelette. Qui semble toujours, contre tout, trouver une bonne raison d’entamer l’espace. Avec son agaçante manie de secouer son jeu d’osselets. Puis d’accrocher joyeux une vertèbre au ferraillement quotidien. On ne compte guère, en ce début d’avril, sur le premier flux de cervelle, derrière le dernier craquement, pour bouleverser la tonalité du jour. On a la synapse dépressionnaire.

Quand le soleil levant nous plonge dans la lampe bourdonnante du cerisier. Dans l’embrasement neigeux de son arachnéen essaim d’étoiles. Nous brassant soudain dans la joie nuptiale d’une terre qui tourne avec nous. Et dans cet avril encore un peu râpeux, l’âme attrape vite la chair de poule. On sait nos pensées, alors, enivrées pour la journée et à l’abri de toute rechute dans la confuse réalité. On a la synapse lyrique.

samedi 14 avril 2012

Dans le jardin de mon père/ 4 / Coin de paradis



Un jour il a laissé rouiller ses outils dans un coin de la cabane. Il n’est plus allé au jardin. Un jour son corps l’a lâché. J’ai su qu’il allait mourir. Le jardin est retourné au brouillon. L’herbe a envahi sa belle écriture. Un jour il ne m’a plus parlé de mes jardinages.
Je ne vais pas le voir sous la dalle veinée noire. Son nom doré sur la pierre. Les deux dates bouts du cordeau de son passage sur terre. Je pense à lui sous les pissenlits, sous leurs capsules de graines qui s’envolent dans mes Larousse. A tous vents ces mots qui nous sèment. Je pense à lui sous mon cahier de terre.
Il croyait à une autre vie après. Quelque part sur nos têtes. Un grand jardin de curé où il reprendrait le plantoir et le cordeau, entre deux cumulus.
Paraphrasant Brassens, je doute, pour ma part, pouvoir jamais échanger mon petit coin de terre contre son petit coin de paradis. Même si j’avoue attendre, en ce printemps, sur mes fraisiers, laitues et autres oignons, l’eau du ciel comme une bénédiction.

Série de tableaux: Camelus

jeudi 12 avril 2012

Enfances/Chère vieille enfance/ Jean-Pierre Verheggen

1. Défier Hercule au badminton ! (en deux sets gagnants !)
2. Chevaucher Jolly Jumper dans la forêt de Sherwood ! 3. Sauver Tintin de la noyade (et Milou, des poissons-torpilles qui lui empoisonnent la queue)
4. Voter Bicot aux prochaines présidentielles !
5. S’inviter à la table du Chat Botté pour dévorer avec lui le marquis de Carabas transformé, le temps d’un repas, en souris d’agneau !
6. Cafter Brutus, l’ennemi juré de Popeye le marin et faire au sergent Garcia un croc-en-jambe de derrière les fagots (en profiter pour exiger de Zorro qu’il mette la main au portefeuille pour ce service rendu)
7. Confisquer aux sept nains leurs médicaments à base d’hormones de croissance (qu’ils restent petits, c’est mieux, surtout pour jouer à cache-cache dans le jardin !)
8. Prêter son GPS au Petit Poucet (ou du moins lui envoyer un texto pour le prévenir qu’il doit se méfier de ces salauds d’oiseaux qui bouffent le pain des pauvres !)

Bref ! On imagine mal tout ce qu’un Poète est capable d’accomplir pour ne jamais quitter sa vieille et tendre enfance !



Jean-Pierre Verheggen

mardi 10 avril 2012

Dans les jardins de mon père / 3 / Le jardinier du dimanche



Jardinage avec la lune contre jardinage à l’humeur, papa jugerait peut-être que je suis un piètre jardinier. Allées dallées. Rosiers et flamboyants dahlias mélangés aux légumes. Grand carré odorant de simples. Un jardinier du dimanche. Sachets jardiniers de France contre sachets Vilmorin. Un jardinier prodigue.
Il me taquinerait sur mon jardin employé contre son jardin ouvrier. Jardin plaisir contre jardin de nécessité. Potager familial contre potager d’agrément. En somme, lui le taiseux rejoindrait en riant ma lutte des classes. Pot de terre contre pot de fer. Peau de père contre peau de fils.
Peut-être serait-il au moins fier des mots poussés dans son jardin de la culture.

dimanche 8 avril 2012

L'Eglise aux oeufs d'or



A l’approche de Pâques, en plein carême et diète, tous les ans, éclosent, dans nos boîtes aux lettres, de chrétiennes suppliques à donner pour le « denier de l’église catholique ». Et ce temps fort est béni par une grande campagne d’affichage publicitaire. Cette année, deux slogans ornent les panneaux pascals : Pâques est bien plus qu’un œuf et Les cloches ne sont pas toutes en chocolat. C’est vrai elles sont aussi en chair et os. Cette dérive chocolatière a-t-elle pour vocation de multiplier les crises de foi ? Ses concepteurs nous disent qu’il s’agit de « retrouver le sens de Pâques, rechristianiser des fêtes devenues commerciales ». Belle parole d’évangile qui vise avec les mêmes armes que celles des marchands du temple à plutôt retrouver le sens des troncs. Bien sûr, comme toutes les petites entreprises, L’église ne peut pas vivre que d’amour éternel et d’eau fraiche même changée en Bordeaux ou Bourgogne. Mais elle sait aussi, sans état d’âme, ne pas mettre ses œufs dans le même panier de crabes.
Ainsi la banque JP Morgan Chase de Milan a décidé le 30 mars de définitivement clore le compte ouvert au nom du Vatican. En raison de l’opacité de fonctionnement de ce compte. Ce dernier ne servant qu’à faire transiter de grosses sommes vers un compte de l’Institut pour les Œuvres de Religion en Allemagne. 1,5 milliard d’euros en 18 mois. En septembre 2010, les enquêteurs italiens avaient déjà gelé 23 millions d’euros dans différentes banques pour blanchiment d’argent.
Alors il est tentant, même si ce n’est guère charitable, de penser que l’église, à l’image des Kinder, espère trouver dans ses œufs des espèces sonnantes et trébuchantes. Afin que ses cloches qui vont parait- il à Rome en cette période de Pâques ne soient effectivement pas toutes fondues en chocolat. Comme ils disent à La Caisse d’Epargne : ce que je préfère dans le chocolat, ce sont les noisettes ...

vendredi 6 avril 2012

Dans le jardin de mon père / 2 / Le pot à tabac gris





Papa vivait l’œil aux nues et le tympan collé aux voix météorologiques. Il interrogeait les almanachs et veillait aux dictons populaires. Observait le chat ou la grenouille. Il ne jardinait que selon les phases lunaires croissantes ou décroissantes, ascendantes ou descendantes. Avec les jours fleurs ou racines et ceux feuilles ou fruits. Et les trois d’apogée, de nœud et de périgée qui condamnent le jardinier au complet repos végétatif.
Il commandait ses semences chez « Les jardiniers de France », dont il était adhérent, dans cette grande époque des jardins ouvriers. Fins sachets de papier blanc ou sépia qui chantaient à l’oreille. Qu’il rangeait précieusement dans son ancien pot à tabac gris. Au-dessus du maigre pécule que lui ristournait maman sur la paye des fins de mois.
Aujourd’hui ce pot trône sur mon bureau où je déchire mes sachets de mots sur mes lignes de papier. J’y plante mes crayons.

mercredi 4 avril 2012

Dans le jardin de mon père / 1 / L' eruca sativa



C’est le bleu où le jardinier a des fourmis dans la binette. Un ciel tendu comme un tambour. Une douceur que l’œil myosotis des anciens aurait tâtée avec circonspection, tirant des plants sur la lune rousse. C’est un soleil pour le calendrier sans doute déraisonnable mais dans un réchauffement qui fait boiter les dictons.
Je vais, aujourd'hui, sur ma terre émiettée semer roquette cultivée, persil frisé vert foncé, radis de 18 jours. Trois petits sachets dans un plus grand en papier glacé, éco-emballé, flambante image légumière. De chez Vilmorin. Depuis 1743. Un peu plus chers, sans doute, pour ce transport à travers les siècles. Mais Marque auréolée, aussi, de cette historique et prometteuse devise : on récolte ce que l’on sème.
Sans compter qu’au moment de semer la roquette cultivée, il est plaisant de penser que cette illustre Maison a été créée par Claude Geoffroy maitresse grainière. L’eruca sativa bannie des jardins monastiques pour ses vertus aphrodisiaques.

mardi 3 avril 2012

Enfances/ Jean-Claude Touzeil/ Kaléidoscope




extrait de "Remontants et ricochets" illustration de Valentine Manceau à commander
chez l'éditeur: http://www.soc-et-foc.com

dimanche 1 avril 2012

Poison d'avril



Rameaux venteux et frisquets, année froissée et sèche. Cerisiers crémeux et pêchers roses. Papa bêche et maman pique sur sa Singer. Tous deux, toujours, les lèvres au ciel. Arrête de fouiner dans mes boutons. J’ai pas d’arêtes mais des os. Mon cœur ne tient plus dans le dé à coudre. Dans leur cage, au fond du jardin, les lapins ont les yeux rouges. Chagrin. Je tourne autour du piquet. La terre monte dans ma peau.

Dans l’armoire de la chambre, la couturière a soigneusement rangé mes affaires de Pâques : tu seras comme un sou neuf dans l’encens et l’orgue. Rien à envier aux autres des magasins. Chemise immaculée. Culottes et paletot assortis. Faudra encore acheter des souliers. Pour l’instant j’ai encore ce gros pull grenat qui me gratte aux poignets. Eczéma. Je tourne autour du tronc. J’ai les idées qui grandissent.