jeudi 31 mai 2012

Dans les jardins de mon père / 11 / La brouette




J’observe avec peine dans certains jardins, au milieu des nains bleus, des champignons à poids rouge en ciment ou autres araires repassés au minium, d’anciennes brouettes en bois. Repeintes en vert et transmutées en massifs à fleurs sur pattes.
Il a fallu des années, un châssis bien ruiné, des ridelles ravinées et des pieds rongés à l’os, pour convaincre papa de remiser sa brouette en bois et la troquer pour une galvanisée, légère et mince vêtue. De la Cavac, aujourd’hui Gamm vert tout un programme…
Alors, c’est vrai, nous n’avons plus entendu le bruit horloger du soleil cerclé qui parcourait le jardin. La brouette le précédait partout. Au bord des allées, il la remplissait de tous les déchets végétaux de ses bêchages qu’il versait ensuite dans son coin de compost.
Mais il la comblait aussi de toutes ses récoltes, ses merveilleux ou monstrueux légumes qu’il roulait fièrement vers ses cagettes, sanglées ensuite sur son vélo.
Il ne lui serait pas venu la futile idée de me promener dedans comme je le ferais plus tard avec mes filles, riant aux éclats.

lundi 28 mai 2012

La pensée de mon chat



Mon chat semble parfois aussi curieux que moi des nouvelles fraiches que j’étale sur la table. Il vient volontiers y poser une patte appuyée en marque-page froissant là ma lecture. Ce matin dans sa rubrique « Le saviez-vous », Ouest-France m’apprend que « hommes et femmes consacrent, en moyenne, 35% de leur discours à parler d’eux-mêmes. Une activité aussi satisfaisante que faire l’amour ou manger. » Ce qui n’est pas mesuré c’est le taux de contentement de l’oreille qui reçoit cet épanchement narcissique.
Mon chat semble dubitatif et sans avis sur la question. Il est d’une nature assez discrète, peu disert sur lui-même. Je dois souvent lui donner ma langue pour traduire ses jeux de mirettes et d’échine. Je le pense, même privé de bavardage égotique, assez satisfait de sa ronronnante existence. Au temps qu’il consacre au rêve et à la méditation, je lui jalouse une probable très riche vie intérieure. Avec ce genre de pensée reprise à Pascal : « tout le malheur des hommes vient d’une seule chose qui est de ne savoir pas demeurer en repos, dans une chambre. »

vendredi 25 mai 2012

Croquis-Démolition





Notre nouveau redresseur, Arnaud des bois, se trouve aujourd’hui à Gémenos chez les derniers mohicans du thé à la française, les Fralib en lutte depuis des dizaines de mois contre leur « univoleur » qui veut délocaliser leur usine. Notre décabosseur de vies sacrifiées va-t-il sauver cette bande d’irréductibles à la défense d’acier ?
Un peu plus tôt, avant leur début de combat, dans le sud Vendée, la multinationale suédoise SKF avait décidé de fermer son usine de fabrication de roulements à billes. Uniquement pour des raisons boursières car le site était grassement bénéficiaire. 380 ouvriers licenciés après un premier dégraissage de 200 salariés 2 ans auparavant.
Une poétesse, alors, Patricia Cottron-Daubigné, impliquée familialement dans cette entreprise a décidé de couvrir avec sa sensibilité et ses mots d’écrivaine le conflit qui a suivi jusqu'à la déchirure finale. Rare expérience politico-poétique remarquablement retransmise. Son livre paru aux éditions de La Différence s’intitule Croquis-Démolition.
Symboliquement avant de quitter le site après des mois d’un combat perdu sans relais des politiques au pouvoir alors, Les SKF désespérés avaient brûlé leurs bleus dans la cour de l’usine. Leurs bleus dont parle ainsi la poétesse :


mercredi 23 mai 2012

Dans les jardins de mon père / 10 / l’arrosoir






Rue Couperin, rue Mozart, rue Rameau, rue Gounod…le lotissement des musiciens a mangé, aujourd’hui, le premier jardin de papa. Quelques tilleuls au bord du bitume plongent encore dans cette terre de mon enfance, la marqueterie d’une dizaine de jardins ouvriers cousus ensemble. Au centre de cet espace solidaire brillait l’encrier du puits commun avec son bassin de pierre accolé.
Au soleil déclinant l’étrange machinerie de pompage en fonte devenait mon royaume. Il fallait tourner sa grande roue pour que jaillisse l’eau du bec retourné. Nos deux arrosoirs en zinc, chiens assis et fidèles semblaient m’y attendre avec patience. Je les remplissais le plus possible avant des porter alternativement à papa. Leur fraîcheur mouillait mes mollets. Quelquefois il me laissait dessiner sur ses semis mes propres calligrammes.

dimanche 20 mai 2012

Dimanche


A quoi penses-tu
? Elle ne risque la question que dans le soleil levé des dimanches. Quand on déconne enfin avec les aiguilles. Qu’on s’étale dans des rouges de confiture. Sa manière, derrière la semaine avalée, de fouiner dans mes petits grains, d’estimer si notre histoire garde toujours un peu de marge. Dans la lumière farineuse, d’entendre des résonances avec ses propres pensées.
A quoi penses-tu ? Glisse-t-elle entre deux lentes gorgées brûlantes. Quand elle sait, depuis toutes ces matinales partagées, que je joue, à ce moment, au taiseux. Répondant invariablement : à rien. Un peu par défi, beaucoup par taquinerie, pour la plonger dans le doute, la contraindre à faire les premiers mots. A dévoiler ce qu’elle a sur le cœur.
Aussi, parce que, justement le dimanche, je me lève avec l’odeur de sa peau,
Incapable de détacher mes synapses de sa chair tendre.

jeudi 17 mai 2012

Dans les jardins de mon père / 9 / les outils d’une langue




Les mains dans les semis, le matin à ma table, l’après-midi au jardin, je gratte, je griffe. Je travaille le papier, je travaille la terre. D’un paragraphe à l’autre, sur mes deux cahiers j’ouvre et referme des lignes noires. Même tension des corps. Même abandon à la joie intérieure. Même souci d’éclaircissement. Qu’à la fin ce soit beau pour les yeux et bon pour l’âme. Un dévoilement lumineux qui efface la tache bien faite.
Papa paraissait toujours, dans son jardin, comme délivré. Ce que je lisais sur son visage ressemblait à de l’amour. Ce sont ces moments de bonheur simple montés en graines qui m’ont fait jardinier. Poète ? Je ne sais pas, mais cette attention à la terre, ce partage des vitalités, cet échange des forces, cette délivrance des solitudes, cet accord des harmonies m’ont peut-être donné les clefs d’un jardin intérieur et les outils d’une langue.

mardi 15 mai 2012

Un combat éléphantesque





Voilà près de 600 jours que les 182 salariés de Fralip à Gémenos dans le 13 se battent contre la fermeture de leur usine, la dernière en France du groupe Unilever qui produit les thés et infusions pour les marques Lipton et Eléphant. Une poignée de résistants contre un mastodonte de 171000 salariés avec un chiffre d’affaires de 47 milliards d’euros. Le groupe souhaite délocaliser cette production en Pologne. Pour rappel il a déjà délocalisé Amora en République Tchèque et Turquie, 265 emplois à la clef sous la porte. Quand aux cornichons Maille, ils débarquent de Chine, quand ils étaient cultivés dans l’Yonne. 600 jours de combat pendant lesquels rien n’aura été épargné aux salariés : Plan de sauvegarde de l’emploi avec reclassement en…Pologne ou à Bruxelles, envoi de vigiles, vente du site à un pseudo repreneur d’une trentaine d’emplois. Mais les Fralib aidés de leur large comité de soutien local ont repris les locaux aux vigiles et le défendent énormément protégés par des sacs de 500 kg de thé. Une défense éléphantesque contre celui qu’ils appellent Univoleur. Ils espèrent comme d’autres leur salut des nouveaux éléphants socialistes. En attendant quand vous pousserez votre caddie dans les rayons de votre hyper, pensez aux occupants de Gémenos et évitez d’y mettre Amora, Maille, Lipton et Eléphant. Geste qui ne fera barrir l’Univoleur mais ses 183 indignés.

lundi 14 mai 2012

Mississipi



Mal parti ou mal arrivé, on a le cœur qui cloche entre ciel et terre. Alors on pose sur la platine les bleus de Billie Holiday. Et toute la limaille du matin s’aimante à cette mélancolie qui traîne entre deux piqures de soleil. Parce qu’un jour on est tombé dans ce grand sac de coton d’où sortait le blues, on sait qu’on peut se soigner aux pépins d’une voix qui barbouille l’âme.
Me voilà chantant le blues mais comment évoquer autrement le livre magnifique d’Hilairy Jordan que je viens de terminer : « Mississipi ». Un chant du sud rauque et envoûtant, sous la couverture nicotinée. Quand je pense à la ferme, je pense à la boue. Elle bordait les ongles de mon mari et encroûtait les genoux et les cheveux des enfants ; s’accrochait à mes pieds avec le même bruit de succion qu’un nourrisson affamé au sein ; Avec elle impossible d’avoir le dessus. Elle recouvrait tout. Je rêvais en marron…

vendredi 11 mai 2012

Dans le jardin de mon père / 8 / Pois serpette express





Mes 10 ans passés, je ne le côtoyais que l’été. Peu de photos, peu de phrases échangées. Mais pour écrire sa vie j’ai le fil de ses saisons au jardin, ses lignes de crayon au cordeau dans 6 agendas publicitaires et 3 cahiers d’écolier tables d’addition et multiplication au verso, aujourd’hui couleur sépia.
A la date du 6 mars 1955, je peux lire semé pois « serpette express », au 12 mars pois Plein le panier », au 25 « carotte rouge de Hollande », « oignon jaune paille des vertus ». Au 12 avril radis « Rose de Cézanne », « Epinard de Viroflay », au 15 salades « Reine de mai », « Gotte dorée », au 17 planté pommes de terre « Idéale » et « Belle de juillet ». Au 2 mai semé poireaux « Monstrueux de Carentan ». Au 15 mai, derrière Saint Servais planté tomates « 6 Pierrette », « 10 merveille des marchés, « 10 Marmande », « 8 Mikado écarlate »…
Ce sont les recueils poétiques de papa avec sa belle écriture de certificat d’études. Mes madeleines. A parcourir leurs carrés de mots enluminés de géographie prometteuse, de bouquets et couleurs enivrants, je me dis qu’au moins, dans ce cloître légumier, sa vie a dû être belle.

mercredi 9 mai 2012

Images pour Epinal



Belles ces images pour Epinal et les chaumières. Ces deux présidents courbés sur le soldat inconnu. Après la guerre de gueules cassées la paix des braves. Du cinoche pour les gogos. Une dernière couche de com. En deux sourires et frappement racoleur d’épaule tenter de redorer cinq années à côté de l’étoffe présidentielle, cinq années au service de sa classe bourgeoise et affairiste, cinq années d’enterrement de nos valeurs humanistes. Sarko aura surjoué sa sortie comme Charlot à la fin de ses films.Cherché l'happy end pour racoler un sentiment de compassion et de regret dans le petit cœur de la France. Bravo l’artiste ! Tout le monde est tombé dans la manip. Mystification d’Epinal pour tenter de voiler le soleil levant d’une marée humaine à la Bastille deux soirs avant.
Un dernier coup de menton du bonimenteur riant sous cape face aux caméras. Je vous ai tous bien eu. Un dernier coup de guignol par en dessous au nouvel élu un peu penaud et briffé avec ironique sollicitude. Maintenant le sauveur des marchés va pouvoir sans état d’âme aller faire du fric. La seule et insupportable ambition qu’il a tenté de nous vendre. Il nous laisse avec cette honte d’avoir été animalisé. Pendant des mois et particulièrement dans ces semaines de campagnes, il n’a installé son pouvoir et tenté de le garder qu’en flattant nos instincts : peur, exclusion, stigmatisation, éloge des égoïsmes et de l’individualisme. Il a fait le lit, en contribuant à la désespérance, de l’extrémisme qui va gangréner la France et toute l’Europe.
Alors qu’un petit air frais porteur d’une odeur de muguet chatouillait nos narines, couvrait enfin le remugle de tous ces jours anciens. Alors que le mot fraternité, avec sa pâte bigarrée de guimauve et réglisse, revenait chanter en bouche, voilà que le paillasse envoie un dernier pet.

mardi 8 mai 2012

Dans le jardin de mon père / 7/ La cabane



Le ciel sur la tête nue, ma cabane tournait avec les saisons. De courants d’air l’hiver, de douceur verte l’été. Resserrée dans l’embranchement ventru du cerisier. Je m’y juchais pour lire, voyager dans la caravane des nues, souffler dans ma sarbacane en sureau. C’était mon île au fond du jardin. J’y cachais un canif et mes hétéroclites trouvailles : billes, marrons, pièces, figurines…
De mon perchoir j’apercevais la cabane de papa accotée au milieu des poiriers en espaliers. Le brun rouillé de la tôle du toit et le noir des planches goudronnées. Sa resserre aux outils avec ses étroites étagères pleines de ses trésors à lui. Dans d’anciennes boîtes de conserves, ses sachets de graines, ses clous, ses ficelles ou raphias, ses bricoles
Le temps n’effleure pas celui qui garde cabane dans la tête. Perchée ou sur terre. Entre les planches disjointes et craquelées, dans ses 85 printemps, l’enfant souriait encore sur les lèvres de papa, devant la première percée des graines semées dans des boîtes à œufs. Maintenant que je suis descendu de mon arbre, c’est lui qui est grimpé dans sa cabane de nuages.

dimanche 6 mai 2012

Sans commentaire...

Aujourd'hui je viens de voir que le calendrier indique: "Ste Prudence"...

samedi 5 mai 2012

Dans le jardin de mon père / 6 / J'étais la mouette




Vers la fin de l’hiver, Il dérouillait et huilait sa bêche. L’affûtait pour trancher net la terre. Au sortir de la cabane le soleil venait chanter sur la lame.
La bèche doit être à ta mesure. De bonne longueur entre ton pied d’appui et l’épaule. Elle doit être bien équilibrée pour économiser tes forces. Papa parlait parfois comme un vieil almanach. J’entendais aussi la longue transmission orale du savoir paysan.
Il ne sa plaignait jamais de quelconques douleurs. Disait au soir c’est une bonne fatigue. Il entamait le carré par le haut. Réservait une jauge. Il plantait le fer, ouvrait la chair noire, la renversait avant de la casser. Otaient les pierres ou os. Moi, j’attrapais quelques vers surpris dans les mottes. Pour les lancer à la querelle des poules. Sans en penser moins, il ne me disait rien. J’étais la mouette dans son labour.

jeudi 3 mai 2012

Alors le chat?



Alors le chat ? C’est l’amorce pâteuse qui le plus souvent lacère mes fins de nuit. Quand il vient se brosser dans mes jambes. Tâter mon humeur. De lui ou moi, je ne sais pas lequel mendie le plus ces premières caresses. A peine réjoui de quelques croquettes, il s’attable pour me régaler de sa nuit de gouttière. Il sait, qu’à cette heure, je suis de bonne pâte, encore malléable à ses petites fugues de tuiles. Je suis son ouïe domestique.
Puis se déplie pour éplucher sévèrement un pied de la chaise. Façon de me rappeler que dans son coussinet de velours sommeille une patte de d’acier. Ou, peut-être, de me signifier, qu’en cas de rupture, il disposait de ses propres armes pour assurer sa pitance. Qu’en résumé c’était lui qui me tenait sous sa coupe et m’hébergeait sous son toit. Façon, en définitive, d’enfoncer une griffe dans mon « ni dieu ni maître ».

mardi 1 mai 2012

Tous ensemble


Je n’ai pas le corps au dernier songe, aux vingt mille lieues sous la couette. Il me plonge, dès rosée, malgré mon défaut notoire d’ambition, dans cette humanité qui se lève tôt. Sans pourtant n’avoir jusque là, obtenu quelconque faveur de l’avenir. Sinon l’éloge pétainiste d’un certain bonimenteur élyséen. Qu’à cela ne tienne. Il m’arrive, certains jours, affaibli par quelques nouveaux parasites de la chiennerie, de rêver à l’enviable situation promise à ce cœur de cible.
Au lieu de sortir crier « tous ensemble », « tous ensemble » avec le grand corps social et non moins malade, je tente de me glisser dans la peau du loup, d’astiquer longuement mes crocs. De me fermer, avant tout, à tous les malheurs du monde et surtout des autres qui vous frottent et squattent votre cœur, s’épanchant sur votre épaule comme sur un divan. Mais me fermant les yeux, j’attrape une comète puis toute la galaxie. Mais me bouchant les oreilles, une étoile puis toute la mer.
Au son du tambour qui monte dans ma poitrine je me précipite dans la rue.