dimanche 31 mars 2013

Vulnerant omnes ultima necat




Toutes les heures nous blessent la dernière nous tue.

samedi 30 mars 2013

L’heure d’été



Nous voilà à peine au printemps, qu’on nous annonce le passage à l’heure d’été. Alors que pâques se profile aux glaçons et que la chasse aux œufs en chocolat se fera en moufles. Aucune hirondelle pour élégamment géométriser le ciel et poser sa croche sur le fil. Juste le nez doré de quelques pâquerettes dans nos affaires d’hiver. Mais c’est ainsi l’homme adore bricoler son destin et il voit sans doute dans cette course contre le soleil une avancée dans sa quête d’immortalité. Le même qui ne cesse de lorgner nostalgiquement en arrière ne rêve que d’être en avance sur son temps, de naître avant sa naissance et mourir après l’heure. Alors il règle ses aiguilles sur la courbe du baril ou le trottinement du code-barre. Peu importe le mouvement horloger des sphères il préfère tirer sur le ressort, plier le sablier à ses grains de folie. Nous voilà à peine aux giboulées, qu’on voudrait nous voir nus au milieu des épis. Alors que Pâques s’annonce aux tisons et que fondent les cloches sous les flocons. Demain sera un autre jour où le chat nous regardera ironique courir après notre ombre comme lui après sa queue.


mardi 26 mars 2013

Le bol / 8 / Ding Ding Song.




On l’imagine posant pour un peintre. Ce bol dont l’ivoire un peu jauni au fil des lèvres infuse une lumière neigeuse. Sa coupe épurée et fine semble évaser un calice floral. On l’imagine ouvrant son cœur dès l’aube. On l’entend sonnant clair contre l’ongle. On le sent doux comme un visage dans la pulpe des doigts. On le voit sourire, peut-être au temps qui passe. On l’imagine rêver à la Terre.
Est-ce son motif fleuri, sa caresse magnétique ou son paysage tranquille qui avaient attiré son acheteur ? Sa blanche perfection ou le royaume secret de son cercle ? Il l’avait acheté 3 dollars pour le plaisir des yeux.
Pourquoi bien des années plus tard s’est-il décidé à le faire expertiser ? Sans doute lentement touché par sa beauté simple, absorbé par son énigmatique rayonnement avait-il fini par le voir comme une véritable œuvre d’art.
Bingo, il vient de revendre son bol chinois pour 2,23 millions de dollars. C’était un Ding millénaire de la dynastie Song.
Voilà maintenant l’homme riche mais pauvre de ce soleil pâle qui ouvrait chacun de ses matins.

samedi 16 mars 2013

Mon chat et le merle




Il battait un peu d’une aile ce matin. Victime malheureuse des reflets frémissants de la véranda ou du jeu acéré de mon miauleur auquel je l’ai in extremis soustrait. J’ai beau, sur ce point, entretenir avec lui une controverse inépuisable, j’éprouve toujours la plus grande difficulté à lui enfoncer dans sa cervelle d’oiseau que notre goût commun pour la gente ailée ne répond pas aux mêmes appétits. Ainsi, l’hiver, lui faire admettre que les nichoirs dont régulièrement tombent des graines ne sont pas, en réalité, de machiavéliques pièges au pied desquels il suffit de faire le mort pour vivre de ses griffes.

Il battait un peu de l’aile ce matin ce merle charbonneux dont l’œil cerclé du même orange que le bec me fixait méchamment, bien que tremblant de toutes ses plumes de la tête à la queue. Lui qui d’habitude sautille dans le vert, siffle ou flûte dans le noir du feuillage, au creux de mes mains, une boule de peur visiblement dans le sifflet, criaillait plutôt dans un aigu plaintif. Sorte de petits coups d’épingle inharmonieux. Quand je l’ai relancé dans les airs, j’ai croisé la prunelle incrédule et dépitée du chat.
J’attends qu’au temps de mes rouges cerises, devant mes claquements de mains, il vienne moqueur me rappeler un élargissement quelque peu léger.





jeudi 14 mars 2013

Mes mémoires en captivité / Dans le jardin de mon père.




Il avait titré ainsi les 32 feuillets au crayon de bois, trouvés à son décès. Leur fanage me contraint à la loupe. Du premier janvier au trois mai 1944, quatre mois de son déracinement à la frontière allemande. Vendredi 28 janvier : toute la journée nous continuons nos châssis. Journée pluvieuse. Le soir au lager rien de nouveau. Quatre mois de ses cinq mornes années de prisonnier de guerre, réquisitionné comme jardinier. J’ignore s’il avait consigné la totalité de ces jours perdus. Courts versets de l‘existence de ce jeune paysan enlevé à ses journaux de terre.
Jeudi 13 avril : après avoir arrosé mes châssis, je plante des salades toute la journée. Il a fait une belle journée. Le soir au lager je touche une carte de MJ du 14 mars. Il ne dit pas je reçois mais je touche évoquant ce courrier envoyé, un mois auparavant, par Marie-Joséphine, ma mère. Je le vois, alors qu’il écrit ce je touche, longuement caresser les mots de celle qui l’a suppléé dans le jardin qui jouxte la ferme. Je le vois promener le nez sur la peau de sa chère terre. Alors si loin et si proche dans leur continuité de gestes.
Ils laisseront leurs champs quelques mois après sa libération. Pour se gager en ville chez un ancien huissier, elle à la cuisine, lui au jardin. Il refermera définitivement cet exil. Jamais ne m’en touchera un mot. Lui échappera seulement, pendant soixante ans, le péjoratif boche.



mercredi 13 mars 2013

A poêle !




Le monde est ainsi fait et injuste. Tandis qu’il fait blanc en France et que des milliers d’automobilistes désoeuvrés s’amusent sur le côté des chaussées à faire des bonhommes livides genre Paul ou Benoît des neiges, il fait noir à Rome. Noir de monde. Plus une place sur St Pierre. Des milliers de mirettes enflammées et agglutinées pour les volutes d’une fumée immaculée. Un grand feu d’hosties. Des milliers d’intoxiqués à l’effet de chaire et au charbon de foi. Des milliers d’enfumés qui lorgnent les signaux indiens d’une tribu de pompes rouges, genre famille tuyau de poêle, cadenassée et condamnée au fourgonnement de crâne jusqu’à ce que Saint Esprit s’en suive et brûle leur cervelle. Que sortent alors de l’urne funéraire et montent au ciel les cendres du papabile devenu pure essence à papamobile.

Fumette suite:

Défiant le temps et les bookmakers voilà qu'un second François 1er est sorti de la fumée argentine.Un pas fier et ami des pauvres comme des généraux putchistes et as de la disparition.( Dans "No" film chilien en salle actuellement on peut voir aussi une superbe accolade de Jean Paul 2 avec Pinochet...)
Une nouvelle fois le service public télévisuel a fait preuve d'un esprit Laïc remarquable.Jamais le 20h n'a mieux mérité son surnom de grand messe au point de nous infliger la punition en direct d'un pater et d'un ave...

Amen!

lundi 11 mars 2013

Tout ça pour une photo (La fille au bandonéon 5)




C’est quand tu plains ton verre
toujours vide d’ivresse
Quand tu n’as plus le cœur
à chalouper l’écume
contre le ventre moite
des filles collées au Wurlitzer
à remettre deux larmes
dans le soufflet d’un tango

que rivé au fer nègre des grues
dans la nuit maltée d’étoiles
tu guettes dans le mugissement
la cloque bitumée d’un cargo
espérant dans la plainte du bandonéon
rebattre tes cartes et tes amers
dans les nuits fardées de Buenos-Aires
faire danser tes pensées tristes.

Sur un tableau de Jean-François Bourasseau


dimanche 10 mars 2013

Tout ça pour une photo (La fille au bandonéon 4)




C’est maintenant un tableau ce déclic. Cet instant tranché. Paré pour un établi de plaies, de déchirures voyageuses. L’œil a mâché l’image léchée, marouflé un eczéma pigmenté sur le suintement chocolat. L’œil a écorché la belle histoire, sa belle histoire d’effleurement à la rose. La peinture comprime sa musique de couleurs.
C’est maintenant un tableau ce millième. Cet instant tué. Un billot de rêves, de dérives ronceuses. L’œil a poncé la nudité soleilleuse, collé un rauquement café sur le battement de nacre. L’œil a labouré la belle peau, sa belle peau d’amour à la gomme. La peinture crache ses poumons de couleurs.

samedi 9 mars 2013

Tout ça pour une photo (La fille au bandonéon 3)



Et moi, sur le regard du photographe, un deuxième voyeur. Je vole l’inconnue du boîtier. Je suis dans ce déshabillé de feuilles, cette automnale cuisson, ce frisson noir cravaché de lumière. Emporté dans l’insupportable délice du dérobement diatonique. J’ai ces frissons de blés mûrs sur les nerfs. Le cœur boitant je suis dans l’étreinte d’une mutine.
Et moi sur la prise du photographe, un deuxième voleur. J’adore l’inconnue du cliché. Je suis dans ce froissé de clairière, cette boiserie dorée, ce velours sombre violenté d’ambre. Entraîné dans la déchirure délicieuse de l’avivement nostalgique. J’ai ces taches de lune sur l’âme. Le cœur cognant je suis dans la cage de cuir d’une madone.

vendredi 8 mars 2013

Tout ça pour une photo (La fille au bandonéon 2)



Que voulait capturer l’oeil, attirer dans son miel ? C’est lui qui s’est englué dans la nudité résineuse. N’y a vu que du feu. Maintenant s’y brûle. La photo l’a gobé. L’œil, dans la lumière brûlée, a butiné une fleur vénéneuse. Que voulait manger l’œil, immoler dans ses photons ? C’est lui qui a fondu dans la gelée goudronneuse. Dans cette rouille de peau. Le voyeur est maintenant amoureux.
Trop d’acacia sur l’épaule, de flamme sur le cou. Trop de soleil sur le rond du genou. Trop de rousseur dans la floraison. Trop de sel dans la beauté caramélisée. Trop de rivages dans le soufflet, de bercement ferroviaire. Trop de buée sur le cœur, d’abandon voyageur. Trop de tango sur le zinc, de nostalgie gainée. Le souffleur a grillé l’œil.





jeudi 7 mars 2013

Tout ça pour une photo (La fille au bandonéon 1)



C’est un matin comme un autre avec d’abord sa pâte grumeleuse puis un pâle ciel sous la porte, un jour passant la tête à travers le vieux pull. C’est un jour comme un autre où on racle quelques notes pour trouer le silence ou relancer quelques becs qui percent le papier peint. Un matin comme un autre où on lisse le journal pour y poser le quadrillé d’un cahier. A portée de main un fond de café noir. C’est un jour comme un autre où on s’apprête à reprendre son terreau, quand on reçoit d’un ami un véritable coup de feu. Le bruissement épidermique d’une photo qui vous cloue. Qui vous détourne de vos dernières phrases. Une image qui vous dérobe. Le dehors d’un rêve dedans. Le chant cru d’un œil à l’oreille. C’est alors un matin où l’âme fait côtes avec les plis d’une musique. Où le ventre cherche sa langue dans une chanson d’amour. C’est alors un matin où je défais ce feuillage mouvant, cette robe de terre. Où je punaise cet insecte mordoré. Ce souffleur de cœur marron.

Sur une photo de Jean-François Bourasseau