samedi 30 juin 2012

Dans le jardin de mon père / 17 / l’art premier de papa




C’est la disposition du jardin qui, tous les matins, nous accueille. Nous prend dans mille signes nouveaux, mille points d’appui. Mille métamorphoses écloses dans la nuit. Avec ce frais visage de la beauté accomplie derrière l’attention de nos mains. Il nous offre, alors, la mesure de sa permanence et le baume de ses germinations. Tous les matins le corps s’enfonce dans son mystère quand l’âme se réjouit de chaque pousse et mûrissement. Sa visite nous transfuse, pour la journée, l’énigmatique force de sa plénitude.
Tous les matins papa y avait sa place cosmique. Cette place comme dévolue qu’il a tenu à entretenir de la plus noble façon. Et sa valorisation plastique de ce coin terrestre, quand je ne saurais que resserrer le père nourricier et le citoyen, me permet d’éclairer l’homme intime. Rendre mieux visible la belle sensibilité de son regard.
Car je dois, sans doute, mon éveil pictural à la vision régulière de son jardin. Son ordonnance spatiale et la mise en scène de ses allées, géométrisant chaque planche comme autant de tableaux à la figure parfaite. Ainsi ses cadres de terre fraichement retournée m’ont préparé l’œil au carré noir sur fond blanc de Malevitch. Les cautérisations des semis rapproché de la rigueur cubiste, comme la fusion des explosions dynamiques et colorées, amené à l’émotion de l’abstraction lyrique. Tout l’art premier de papa m’a permis de goûter les pêches de Cézanne comme les folies légumières d’Arcimboldo.


Ce texte, chers fidèles de « grains d’encre », clôture ma première saison 2012. Je vous donne rendez-vous, à nouveau, dans mon jardin de mots le premier Septembre.

mercredi 27 juin 2012

Dans le jardin de mon père / 16 / Il faut faire attention





Je vois bien les coupures et les ongles terreux. Les départs au réveil et les retours pour la soupe. Je sais bien que ça ne tombe pas du ciel ce qui bouche le bec. Je regarde mon assiette mise sans m’interroger plus. Je croque les fèves vertes et les radis que j’aime tronçonner sur des bouchées de pain beurrées. Un large « pain de quatre » au dos farineux préalablement signé par papa d’une symbolique croix, à la pointe de l’opinel.
J’ai l’insouciance et l’égoïsme de l’enfance. J’entends pourtant maman m’opposer : « Tu connais pas ton bonheur » et me seriner : « il faut faire attention ». Papa, lui, ne me dit jamais rien. Les fruits qui peignent la corbeille et les légumes qui ornent la table ou mijotent sur la fonte parlent pour lui. Moi, l’enfant joueur des allées, j’ai du mal à démêler, dans sa joie silencieuse les nourritures terrestres et les cueillettes immatérielles de son jardin.

lundi 25 juin 2012

Le mort au violon






Les uns craquent pour des lofts aux States, les autres transfèrent leur petit business in England. Les riches ont un problème avec la France et ses deux mots « égalité », « fraternité » des frontons. Ils ont du mot « valeur » un sens quelque peu étriqué et personnel. (Merci pour le petit personnel…) On résume cet incivisme par l’expression pudique : « l’exil fiscal ». Question persos et faux- derches les artistes et les sportifs de haut niveau sont champions. Mais eux optent le plus souvent pour l’horlogerie suisse. Ainsi des quatre premiers tennismen (les pauvres qu’on abrite d’un parapluie pendant les secondes du repos à Roland-Garros…), les coureurs autos …et tous ces mercenaires du foot qui choisissent de cramponner le gazon étranger pour préserver leur oseille. Et bien sûr, tout ce minable petit monde ne trouve aucune indécence à porter par ailleurs le maillot tricolore. Ce qui constitue un véritable hold-up moral. Mais bien sûr ça n’empêchera pas les râleurs canapeurs et biérreux, frontistes y compris comme les smicards à 2% d’augmentation de supporter tous ces millionnaires du rond de cuir.
Et de faire une minute de silence pour un Thierry Roland, ce triste franchouillard que d’aucuns verraient bien au Panthéon.
Si le plus indécent vacarme médiatique s’est déchainé pour ce mort du 16 juin, le plus mortel silence a couvert la célébration le 19 juin, quai de Valmy, des 264 anonymes morts dans la rue depuis 6 mois. A une moyenne d’âge de 49 ans. A cette occasion, le collectif des morts de la rue a édifié un monument éphémère sur un mur portant le nom de toutes ces personnes. Cette hommage a eu lieu là où un homme dormait la tête sur son violon et a été retrouvé noyé. Un exilé social au beau pays des exilés fiscaux.



samedi 23 juin 2012

Dans le jardin de mon père / 15 / Le radis






Je me souviens du demi-long rouge « Pernot » et du rond rose à l’accent cocardier d’un tremblant Maréchal incitant les belles familles terriennes au jardinage : le « National ». Papa revenu de ses cinq années de captivité en ferme autrichienne les sèmera longtemps avant de déchirer délicatement ses premiers sachets de « dix- huit jours ».
Le radis reste, dans ma mémoire, ma première madeleine jardinière. Sans doute parce que papa, avant leur volée et enterrement sous les dents du râteau, me versait parfois dans la main ces chantantes granules blondes. Tout l’art consistant à semer clair mais suffisant en mélangeant à cet effet un peu de sable aux graines.
Et puis, parce que sa gaité toute crue dans l’assiette et son éclatante saveur à la croque-au-sel, comme une sorte de « bon appétit », entamaient avec bonheur nombre de repas. Papa l’alignait régulièrement entre les autres cultures me laissant le plaisir, après quelques semaines, de tirer sur quatre oreilles vertes et velues pour déterrer ce museau de souris pointant le même poil blanc que celui qui poussait au bout du nez de mémé.

Dessin brodé de Lou Sautreau

jeudi 21 juin 2012

Twittitude





Tous les ans du 30 mai au 3 juin à La Charité-sur Loire se tient « le festival du mot ». Un jury de personnalités comme cette année Philippe Delerm ou Stéphane Paoli et présidé par le grand Alain Rey et les internautes de 62 pays sont invités à choisir, parmi une liste initiale de quinze mots, celui de l’année. Etonnamment, avec le recul, la pertinence du choix permet de souligner qu’un seul mot peut parfaitement exprimer une année et donner la tonalité d’un période historique, ainsi : « précarité » pour 2005, « bling-bling » pour 2008, « parachute doré » pour 2009 « dégage ! » pour 2011… Du coup, le mot élu, cette année, par les internautes : « changement » parait la chute inévitable et logique de cette suite.
Le jury, lui, a fait montre d’un flair extraordinaire en préférant le mot : « twitter » qui n’était pas sur la liste. Quinze jours à peine avant que le gazouillis de Valérie déchire les tympans de Ségolène. 140 signes qui sans changer la face du monde, en cristallisant la plus froide jalousie, auront bien savonné le perchoir de La Rochelle. Alain Rey le 3 juin, à l’issue du choix avait eu ces mots cruellement prophétiques : « en gazouillant, je peux chuchoter et murmurer pour rappeler que j’existe et que je peux même produire du… buzz et, en même temps, si j’écoute les gazouillements, je sais ce qui se passe chez les personnes et les organisations qui me tiennent à cœur… ».
En 2007 le mot élu avait été… « Bravitude »…

mardi 19 juin 2012

Dans le jardin de mon père / 14 / jardin de papier





J’ai dû attendre quelques années avant de pouvoir, enfin, accoler un petit bout de terre à mon coin de table et alors, dans une évidente complémentarité, aller de mes rigoles de mots aux lignes poivrées des semis. Dès que j’ai évoqué l’idée d’un jardin, papa s’est immédiatement offert. Nous avons défriché, dessiné, labouré, ensemble, mon nouvel éden. Il m’a prodigué conseils et premiers plants. J’ai retrouvé, là, le jardinier de mon enfance. Celui qui tirait justification de ce labeur alchimique.
Alors mon gars comment sont tes fèves et tes tomates ? As-tu essayé mes haricots ? Jusqu’à sa fin, ce jardin a alimenté l’essentiel de nos courtes conversations. Sa transmission régulière de ses propres savoirs et graines de sagesse populaire le rendait fier. Mes réussites potagères le comblaient. Il portait, en apparence, beaucoup moins d’intérêt à mes productions littéraires. Il n’a jamais eu de mots pour mes plaquettes poétiques.
Ce que j’avais pensé de l’indifférence ressortait plutôt de la pudeur. Après sa mort, dans un agenda et son portefeuille, avec quelques pétales séchés, j’ai découvert soigneusement découpées dans le journal et pliées les différentes critiques de mes livres. Peut-être n’ai-je jamais su lui ouvrir aussi mon jardin de papier ?

vendredi 8 juin 2012

Dans le jardin de mon père / 13 / Le tablier.





Il a fini par tomber en poussière ou peut-être brûlé avec d’autres reliques dans le grand nettoyage d’après partage.
Je le revois ce tablier pendu dans un angle de la cabane, blanchi de tissages poussiéreux où s’étaient desséchées des ailes imprudentes.
Persuadé que de noirs et velus arachnides demeuraient tapis dans la poche ventrale, je me rappelle, enfant, avoir hésité quelque temps avant d’oser la visiter pour n’y trouver finalement qu’une vieille pelote de raphia.
Je n’ai pas connu noué autour de sa taille ce tablier kangourou dit de jardinier revenu à la mode des couvertures des livres de jardinage ou des pages de catalogues pours découvreurs naturels plus ou moins bobos écolos chics.
Papa arpentait ses allées, dans de vieux bleus paysans aux poches gonflées par le sécateur ou les sachets de graines. Achetés au « Magasin vert ». L’hiver en épaisse chemise et paletot, l’été en léger tricot de corps.
A mes yeux, ce simple habit d’ouvrier de la terre faisait magnifiquement le jardinier.

Ps: pour quelques jours le jardinier s'en va en terre bretonne...

mercredi 6 juin 2012

Oisellerie





Une tardive gelée sur la fleur de cire, une incessante pluie en mai et voilà, cette année, mes branches sans grenat à l’oreille.
Ce matin comme hier, merles, grives et choucas se disputent mes rares bigarreaux, à peine orangés. Tout en lorgnant mes premières ostaras et maras des bois, que j’ai dû camoufler sous filet vert.
Ce matin, alors que je n’avais observé cet hiver que des charbonnières autour de mes mangeoires, j’ai surpris une mésange à tête noire s’éclaboussant dans mon petit bassin. Bikini noir et blanc dans les papyrus.
Ce matin, je découvre aussi dans mon journal que La LPO (ligue pour la protection des oiseaux) venait de labelliser un cimetière proche en tant que refuge. Après y avoir recensé, en plus de 6 espèces d’amphibiens, 136 éléments de flore, 21 mammifères dont 13 espèces de chauve-souris, 63 espèces d’oiseaux.
De quoi, peut-être, me faire revenir, sur l’idée première de partir tranquillement en fumée.
J’imagine, à l’instar du petit trou moelleux de Brassens en plage de Sète et de son paravent pour baigneuses, une sorte de tombe à nichoirs offrant gîte et couvert en échange d’un concert permanent de becs. 365 jours par an les folles journées…

lundi 4 juin 2012

La fable de la mondialisation





Tchirp, tshirrip, tchirp, tshirrip, ce matin gazouillis à la coda métallique et voltiges cisaillantes sur mon scalp. Croupion blanc et ailes noires, les hirondelles maçonnent enfin sous le nez du toit. Elles remontent de boue et salive le nid effondré à moitié, abandonné il y a maintenant deux automnes. Je n’avais pas eu le bonheur le printemps dernier d’observer leurs vols planés, puis bandés comme un arc avant leur atterrissage de flèche sous les poutres.
Par contre j’ai eu la désagréable surprise de découvrir un jour de juillet pendu en haut de mon cèdre une sphère feuilletée, un drôle d’ovni rayonnant de bip-bip, entre ballon cabossé et cortex, une boule de cuir et d’écorce grossissant à vue d’œil, de jour en jour : un nid de frelons asiatiques. Son décrochage à 13 m fut tellement périlleux qu’il conduisit à l’écimage de l’arbre.
Ainsi sans bruit à Manufrance et ailleurs les hirondelles manufacturières ferment leurs nids quand nous envahissent les ouvrières à bas coût cerclées de jaune-orangé et mangeuses d’abeilles. Tchirp, tshirrip, délocalistion contre colonisation, tchirp, tshirrip, c’est la fable de la mondialisation…

PS : Cette année ce dépeuplement alarmant conduit jusqu’à devoir recenser les nids. Alors si vous hébergez ou découvrez un nid d’hirondelles allez sur ce site pour le signaler : www.pasdeprintempssansailes.com

samedi 2 juin 2012

Lucien Suel au jardin


Dimanche à ne pas manquer, si vous êtes dans le coin, ce rendez-vous au jardin avec LUCIEN SUEL