Mes vœux les pires
La bête immonde du fanatisme religieux ne dort jamais que d’un œil ! Qu’on lui lâche tant soit peu la
bride, et voilà qu’elle se réveille pour prétendre bientôt régner sur tous et sur chacun, dicter ce qu’il faut croire et sentir, imposer une manière de vivre à genou et dans l’humiliation. Il y a toujours des abrutis de dieu quelque soit le nom qu’ils lui donnent, des enténébrés de dogmes, pour se lever et combattre
tout ce qui pense, tout ce qui fait l’être humain et sa dignité : son esprit critique, sa liberté de penser.
Ce n’est pas nouveau et ces dernières années, des intégristes cathos voulant faire
interdire des spectacles « blasphématoires » à la vermine islamiste prétendant
empêcher la représentation de son idole, en passant par les fondamentalistes juifs qui
prétendent asservir toute la Palestine au non du Grand Israël biblique, on pouvait croire
que ces fanatiques ne s’en prenaient qu’à la liberté d’expression, ce qui était déjà s’en
prendre au fondement de la démocratie. On sait aujourd’hui qu’ils sont tout aussi
impatients de massacrer, comme ils le font hélas partout dans le monde, ceux qui ne
leur ressemblent pas et ne partagent pas leurs élucubrations. La nouveauté, c’est que
les liberticides sont aussi des assassins de la pire espèce, des crétins cruels et des
lâches, que l’humour accule à l’hystérie meurtrière.
J’ai tenté de traiter avec le sourire ces infamies dans ma pièce, « Dieu se moque
des lèches-bottes » (éditions Le Bruit des autres), où le dieu bienveillant qu’on peut
imaginer à partir d’une certaine lecture des textes dits « sacrés » (mais qui autorisent
hélas une lecture diamétralement opposée !) fustige et vomit ces dévots qui l’insultent et
le déshonorent. Depuis mercredi pourtant, le cœur n’y est pas et j’avoue que je n’ai plus
l’humeur à en rire. Je suis plutôt ulcéré par certaines réactions, même si les
manifestations qui se sont multipliées spontanément en France et dans le monde, et la
fraternité ressentie au milieu des gens qui se sourient malgré les yeux humides, aident à
ne pas désespérer.
Ulcéré parce que j’ai entendu de sinistres crétins parler de provocations à propos
des dessins de Charlie hebdo. Comme si la provocation ne venait pas de ceux qui ont le
culot de vouloir interdire les critiques de s’exprimer, imposer silence à la planète ! Je
suis fatigué d’expliquer à ceux-là que les caricaturistes ne font que répondre
légitimement à l’arrogance des censeurs et que chaque citoyen a une dette envers eux.
Fatigué aussi de ressasser ce qui est une évidence : le sacré des uns n’étant
pas celui des autres, il n’y a que la tolérance pour nous permettre de vivre ensemble,
celle que la laïcité réussit plutôt bien à organiser.
Malheureusement, des confusions viennent contrarier ses efforts.
Il en est une particulièrement néfaste, véhiculée par les bobos et nombre de
journalistes, qui se focalisent sur le terme d’islamophobie. Prétendant nous garder de
tout racisme, elle entérine de fait une sorte de prohibition de la critique de l’islam et par
extension de toute religion. Que sous-entend-elle ? Que l’hostilité à l’islam recouvre une
hostilité aux Arabes. J’entends bien que l’extrême-droite et les racistes exploitent ce
filon. Mais la confusion qu’elle apporte est au moins aussi dangereuse. Rappelons
d’abord que la majorité des musulmans ne sont pas arabes et surtout que tous les
Arabes ne sont pas musulmans ! Cette confusion procède au fond d’un racisme plus
sournois, qui consiste à vouer un peuple à une religion.
Et c’est là, faire injure à tous ses membres, croyants ou non, en les imaginant
incapables d’indépendance à l’égard du religieux. C’est notamment dénier tout crédit à
ceux, athées, qui ferraillent contre le « sacré » qu’on veut leur imposer, comme ont
ferraillé en Occident les philosophes des Lumières, plus tard les libres penseurs et enfin
ceux qui ont conquis de haute lutte le privilège de la laïcité. J’ai beaucoup d’amis arabes
qui sont agnostiques ou athées, menacés de mort pour cette raison, et qui n’apprécient
pas vraiment qu’on oublie ainsi leur combat ou simplement qu’on nie leur indépendance
d’esprit. Pas plus qu’on apprécierait d’être systématiquement qualifié de chrétien parce qu’occidental ou
de voir accuser de racisme anti blanc quiconque s’oppose à la foi ou aux églises chrétiennes !
L’injonction que l’on entend répéter à l’envi −« Attention aux amalgames » −n’est d’ailleurs pas très réaliste
(qui y-a-t-il vraiment aujourd’hui pour prétendre que tous les musulmans sont des islamistes, hormis une poignée de fachos et de débiles ?). En revanche, elle instaure un couvre-feu sur la mise en examen du fait
religieux. Et cela par la faute de niais peut-être bien intentionnés, mais qui se satisfont
de la bonne conscience que leur procure une protestation facile.
Plus grave peut-être : cette confusion trop répandue (à dessein par certains)
implique le présupposé que les religions seraient a priori respectables et par voie de
conséquence non susceptibles d’analyses et de débats. Qu’elles aient été, toutes ou
presque, à l’origine d’effroyables guerres et carnages est pourtant incontestable. Mais
ne peut occulter qu’elles sont aussi à la source de faits de civilisation et de démarches
individuelles ou collectives d’ouverture aux autres, d’interrogations spirituelles et de
progrès dans l’humanisation des peuples. Il est des croyants qui s’en tiennent à l’esprit,
quand les imbéciles s’accrochent à la lettre (c’est même à ça qu’on les reconnait) ;
hélas, dans ce domaine la bêtise fait souvent de sérieux dégâts et ne pardonne pas…
Les religions sont des auberges espagnoles où l’on trouve un peu tout ce qu’on y
apporte, et je ne doute pas qu’on découvre dans le Coran comme dans la Bible
largement de quoi s’opposer aux fous de Dieu. Mais elles ne sont pas respectables en
soi et par principe – pas plus que n’importe quelle opinion ou vision du monde – même
si la grande majorité des croyants sont, eux, parfaitement respectables.
Parler d’instrumentalisation politique des religions n’a sans doute pas grand sens
non plus : les religions ont toujours une dimension politique, prépondérante. La
résurrection du fanatisme est l’occasion où jamais de le répéter plutôt que de pousser
des cris d’orfraie en feignant de s’offusquer d’une « montée de l’islamophobie » qui n’est
somme toute que le signe d’interrogations et d’une méfiance légitimes. Oui, méfiez-vous
de toutes les religions parce qu’elles portent en elles cet absolu – la foi, la certitude pour
le croyant de détenir la vérité – qui peut conduire à la négation de l’autre. Les
manifestations des musulmans qui protestaient contre les caricatures et ont porté plainte
contre Charlie Hebdo, comme la demande de certains intégristes catholiques ou autres
évangélistes de créer un délit de blasphème, montrent à quel point le ver est dans le
fruit. Et ce qui me navre est qu’il est des gens prétendument de gauche pour y souscrire
au nom du « respect »… Mais il est vrai que la bienpensance est devenue la face
réactionnaire de la gauche comme l’ordre moral fut celle de la droite. Il faut donc encore
rappeler une évidence : le respect est dû aux personnes, pas à leurs croyances, leurs
idéologies, leurs représentations du monde,leurs utopies. Qu’on en vienne à créer un délit de
blasphème, c’est toute la pensée qu’on mettrait au pas et la liberté sous le boisseau. Pour ma part, je
ne crois guère ici en la naïveté : tous ceux qui réclament une telle loi le sont peut-être à leur insu,
mais sont fascistes dans l’âme !
Reste enfin la fraternité. Il n’y a pas besoin de dieu pour cela, les révoltés de tous les temps et de
tous les pays l’ont montré, même si les révolutionnaires ont parfois hélas prouvé qu’on
pouvait aussi l’assassiner avec la liberté. En tous cas, rien ne m’alarme plus que d’entendre parler de « frères en religion ». Car la fraternité est universelle, sinon le mot ne recouvre que l’esprit de clan : une fraternité de
meute, d’un groupe ligué contre le reste du monde.
Ce mercredi noir, j’assistais aux funérailles du poète occitan et ami Yves
Rouquette, un « chrétien buissonnier », homme d’une belle foi généreuse qui, à l’instar
d’autres amis croyants de toutes confessions, me persuade que la bonté a aussi des
sources spirituelles. Toutes les manières de croire ne se valent pas et je l’ai ressenti
profondément ce triste jour (lire ici http://revue-texture.fr/d-une-foi-l-autre.html ). Voilà un
baume sur ma colère et je ne veux pas occulter que bien des croyants, musulmans,
chrétiens, juifs ou autres, témoignent d’une humanité profonde, d’un respect des autres,
d’une ouverture d’esprit qui forcent l’admiration. On peut s’imaginer que c’est en dépit
de leurs croyances. On peut aussi penser, parce que toutes les religions parlent
d’amour (même si elles oublient souvent de le mettre en pratique), qu’elles ont insufflé
chez chacun ce sentiment d’appartenance à une même communauté humaine,
sentiment qui infuse tout au long des âges et de l’histoire individuelle pour finir par
façonner une approche bienveillante des autres.
Sentiment qui fait évidemment défaut aux chiens de dieu (pardon pour les chiens),
ce qui ne doit pas, il me semble, amener pour autant à les considérer comme des
monstres. Non, hélas, ils sont des humains, comme le furent les nazis et tant d’autres
fléaux des peuples, et quoique amputés de leur capacité d’empathie autant que de leur
libre arbitre. Telle est la « banalité du mal » dont parlait Hannah Arendt, qui fait que
nous n’avons que la vigilance de la pensée, l’exercice de l’esprit critique, pour ne pas
risquer un jour de leur ressembler.
C’est bien sûr ce que je nous souhaite en ce terrible début d’année. En souhaitant
du même coup aux misérables imbéciles qui nous endeuillent d’avoir un jour l’intuition
qu’ils vont finir par rôtir aux enfers, puisqu’ils y croient. Et avec ces voeux que je formule
de tout cœur, les pires pour eux : que les crayons et les lettres finissent par l’emporter
durablement sur les kalachnikovs.
Michel Baglin Mercredi 8 janvier 2015
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