lundi 28 septembre 2009

Les derniers indiens


Un bel article du « Matricule des anges » m’a récemment fait découvrir Marie-Hélène Lafon. Je viens de refermer avec émotion « Les derniers indiens », Quel livre !
N’y allez pas pour l’histoire : autour de l’intrigue mince et très étirée d’un meurtre d’enfant, c’est le regard aigu d’un entomologiste épinglant le voisinage de deux générations paysannes, la vie terrée d’un clan de taiseux qui se meurt l’œil cloué aux temps modernes d’une autre tribu débordant de vitalité.
Marie écoutait. Elle ne cherchait pas à tout comprendre, elle assistait à la vie des voisins comme à une sorte de spectacle sans fin, donné, stupéfiant et familier à la fois. Ils étaient là, ils se mouvaient, émettaient des sons, des odeurs, multipliaient les gestes, les images, recommençaient, cessaient, recommençaient, tous, hommes femmes enfants, bêtes et gens. Ils étaient différents et semblables, on ne concevait pas le monde sans eux, l’autre côté de la route sans eux, on respirait leur air, on les inventait, on s’en occupait.
Allez y pour le style .La plume De l’auteure est aiguisée comme un scalpel. Sa langue poncée, balsatique, éclaire d’une lumière âpre l’étriqué des vies, avec leurs ressassements intestins, émiette le bloc sombre des êtres, fouille le commerce craquant des choses. Elle autopsie les sons, les odeurs, dissèque les battements mêlés des chairs et des terres. Elle nous tient dans l’engrangement des petits détails qui nouent les existences, dans l’égrènement des maigres paroles qui criblent la vie des autres.
C’est un travail d’effritement de mottes, de mots longuement ruminés, d’étreinte qui donnent aux personnages une terrible présence, un enracinement implacable dans le magma d’un huis-clos. Elle a l’œil d’un Depardon en plus viscéral.
A trois heures et demie, la musique avait hoqueté, lentement, loin, ensuite elle s’était dessinée droite dans la lumière vide, c’était une musique grave qui ne dansait pas. Elle avait pensé qu’ils devaient savoir pour Pierre, qu’ils savaient, puisque leurs vies à tous, dans les deux maisons, étaient tellement enfoncées les unes dans les autres que rien n’échappait. Cet air avait duré longtemps…
Marie Hélène Lafon est née dans le Cantal. Elle est de la race littéraire des Pierre Michon, Pierre Bergounioux, Richard Millet, ou Mathieu Riboulet…

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Un commentaire ?