dimanche 1 mars 2009

Quand il est mort le jardinier

Longueur ou rudesse, chacun mesure l'hiver à son propre mercure. Mais il suffit de l'alignement de quelques soleils, à la mi-février, caressant l'échine, pour ébrécher l'argile impatient du jardinier et réveiller dans son sang mille fourmis ouvrières. Et le voilà tournant autour de ses carrés vierges comme un poète autour de ses pages neuves, humant l'air frais, goûtant le mot "matin" avant de plonger sa bêche sous la croûte pour retourner un noir profond et gras.
Puis quelques pages terreuses tournées s'asseoir contre le vieux poirier pour relire Lucien Suel dans La Mort du jardinier : "Tu arraches l'ail les oignons et les carottes comme si tu tirais la queue-de-cheval de ta sœur... tu pèles une pomme en regardant par la fenêtre le chat noir qui avance en rampant vers une proie invisible, il tortille du derrière, s'arc-boute et soudainement bondit, le malheureux troglodyte a dû mourir sur le coup... avec le râteau à l'endroit cette fois, tu caresses doucement des dents la terre de chaque côté du sillon pour recouvrir les graines de laitue, tu es seul à savoir ce qui se cache là-dessous, tu sais aussi que dès cet instant l'humidité commence à ramollir la cutucule de chaque graine et que la température est suffisante pour déclencher le programme de l'adn végétal, tu n'as pas d'explication définitive pour ceci, tu acceptes le don de la vie... tu écris de nouvelles pages dans la terre du jardin, tu rédiges des brouillons successifs, tu élagues, tu mets au propre, tu relis tu déchires, tu chiffonnes des boules de papier, tu jettes au fumier, tu recommences, l'écriture te nourrit, tu rédiges les versets de la terre, tu graves dans la glaise, ton corps est ton dernier volume, les rides et les cicatrices, les plis et les replis, les bosses et les creux racontent ton histoire et celle de tes frères."
Longueur et rudesse, chacun mesure l'hiver à son propre mercure. Mais il suffit de l'alignement de quelques mots, à la mi-février, caressant le cœur, pour ébrécher la grisaille des jours et éveiller dans l'âme mille abeilles butineuses.

3 commentaires:

  1. Très beau ce post, Papa. Tu me prêteras le livre ?!

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  2. Merci pour tout et le lien. J'ai établi la réciproque mais à partir de Silo...
    Amicalement.
    LS

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  3. Suel me renvoie à JP Sautreau ! Le jardin crée des liens. Je m'apprête à retrouver le mien avant de remettre la main, après la binette, à l'ordi pour des textes potagers. Voilà.
    ledebleu@wanadoo.fr

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