lundi 16 mars 2009

Arrêt sur mots

Ce mardi 10 mars, en franchissant le portique de sécurité de la maison d’arrêt de La Roche-sur-Yon, pour faire une lecture, avec quatre autres ami(e)s, dans le cadre du printemps des poètes, j’ai repensé à Serge Livrozet.
Serge Livrozet est un militant de longue date de la cause des détenus. Il a connu sa première centrale à 22 ans, puis il a été de nouveau condamné en décembre 68 à quatre ans d’enfermement à La Santé et à Melun pour… « crime contre la propriété ». Le libertaire s’était attaqué, au capital et à ses coffres-forts pour créer… une maison d’édition indépendante afin de pouvoir mieux faire passer ses idées.
Ses idées, il les exprimera à sa sortie avec son ami Michel Foucault à travers le comité d’action des prisonniers CAP, puis il participera à la création de « Libération ». En 73 il publie son premier livre « De la prison à la révolte ». Il luttera ensuite contre les QHS et la peine de mort. En 1981, il crée sa maison d’édition qu’il perdra quelques années plus tard, accusé, avant d'être blanchi, de faire de la contrefaçon de billets.
En 2000, il a fait ses premiers pas de comédien couronné dans « l’emploi du temps » de Laurent Cantet.
Ce mardi 10 mars, j’ai repensé à cet homme révolté que j’ai rencontré en juin 84 dans son imprimerie Parisienne. Il m’avait édité un recueil de poèmes à sa belle enseigne « Les lettres libres », dans lequel, il y avait ce poème :

Matin commanche
soleil scalpé
plus d’os dans la manche
Le monde est un vieil as
que la mort ronge
âme de pierre hache le ciel
l’homme déterre sa préhistoire
paroles sur le sentier de la guerre
archipel des larmes
manque le calumet de l’amour
pour s’en aller en paix.

Ce mardi 10 mars, nous avons partagé de la poésie avec onze détenus dans une petite salle « de classe » comme une île dans cette prison à l’ancienne, à l’architecture d’un vieux film en noir et blanc, cellules distribuées en ovale, lourdes portes barrées de verrous et gâche centrale, escalier et rambarde de fer, filets en dessous donnant à l’ensemble un air d’intérieur de lourd navire en cale.
Ce mardi 10 mars, nous avons partagé des sourires et des rires, beaucoup d’humanité, la liberté des mots et le très grand espace des pages avec des hommes enfermés dans le métal, serrés à trois ou quatre dans 9m2, avec un wc et un lavabo.
Ce mardi 10 mars, quatre tables avaient été disposées pour la lecture traçant un carré de 9m2.
Ce mardi 10 mars, nous avons quitté une prison ayant un taux de 220% d’occupation.
Ce mardi 10 mars, nos lettres libres ont rendu des êtres libres pendant deux heures et j’ai repensé à Serge Livrozet, éditeur de poèmes.
Ce mardi 10 mars la pluie faisait des barreaux.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Un commentaire ?