mercredi 18 novembre 2009

ANACHRONIQUE


Il était prévisible que l’ouverture d’un débat sur l’identité nationale par un président en mal d’amour populiste réveillerait les sanguins d’opéra, les matadors de l’étendard levé. Eric Raoult le bouillant tricolore du Raincy qui depuis peu avait trouvé dans la burqa un nouvel épouvantail à moulinets médiatiques vient de tourner ses crocs contre Marie Ndiaye lauréate du prix Goncourt, l’appelant, en tant que personnalité qui défend les couleurs de la France à un devoir de réserve et au respect de la cohésion nationale et de l’image de notre pays. Pourquoi ce coup de sang patriotique ? Parce que Marie Ndiaye, il y a quelque temps avait expliqué son installation à Berlin ainsi : « Nous sommes partis juste après les élections, en grande partie à cause de Sarkozy…Je trouve détestable cette atmosphère de flicage, de vulgarité…Besson, Hortefeux, tous ces gens-là, je les trouve monstrueux…Ils représentent une forme de mort, d’abêtissement de la réflexion, un refus d’une différence possible… »Evidemment se reconnaitre dans le miroir tendu par une romancière née à …Pithiviers consacrée par le Fémina et le Goncourt doit choquer l’égo identitaire d’un boutefeu qui après s’être vu décerné en mars 2009, « pour l’ensemble de son œuvre » le premier « Y’a bon awards », prix destiné à tourner en dérision les tenants de préjugés ethno-raciaux, vient de recevoir « Le prix de l’anachronisme intellectuel » par SOS Racisme. « Anachronique », voilà bien le mot qui caractérise parfaitement le débat sur l’identité nationale mis aux surenchères publiques. Quant aux propos de Marie Ndiaye, ils paraissent d’autant plus assourdissants que la très grande majorité des intellectuels font preuve d’une très grande lâcheté vis-à-vis du pouvoir à moins qu’ils ne soient fascinés par sa langue bling-bling. En les déterrant Eric Raoult ne remue en nous que du bonheur. A l’occasion rappelons au rustre que l’identité de l’écrivain c’est d’abord sa langue et son style
Elle aménagea une semaine plus tard. C’était à Anthony, toujours au bord de la nationale mais trop loin de l’hôtel pour s’y rendre à pied. Il suffisait de longer la route, comme un fil d’acier bien tendu entre deux immeubles d’inspiration identique, l’hôtel rose et la nouvelle demeure de Rosie d’un blanc ancien et sali, mais les deux pourvus des mêmes petites fenêtres carrées. Vingt mètres plus loin, Max lui montra son propre immeuble et les quatre fenêtres que sa femme et lui avaient en façade. Il tombait une pluie grise…A cet instant, quelqu’un là-haut écarta le rideau. Rosie aperçut une figure, des yeux sombres, une bouche bienveillante. Max leva la main qui ne tenait pas le parapluie, il agita les doigts. Sa femme lui répondit. Rosie lissa ses cheveux. Elle souriait, comme Max, comme la femme là-haut. Mais quelque chose de fin, de serré, de collant, une sorte de voile à peine opaque et qui aurait pu être la mince pluie d’Anthony tombant sur son visage si Max ne l’en avait pas protégé, l’étouffait imperceptiblement, contractait son sourire, puis détournait son regard de la façade, ses yeux un peu errants, ses cils qui battaient et battaient vainement pour se libérer de ce qui s’y appesantissait et qui, se disait-elle, aurait pu être la pluie, était peut-être la pluie….

Extrait de « Rosie Carpe » prix Fémina 2001

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