jeudi 10 septembre 2009

De"La Mort d'un jardinier"à"La patience de Mauricette"


Le vent brosse maintenant l’ardoise, buffe un léger bleu crayeux, après le martèlement nocturne des toits Lillois.74 rue d’Esquermes, boulevard Montebello, A25 en direction de Dunkerque, hasard des cartes et les lignes de vie, je roule vers Armentières. 15 kilomètres d’autoroute vers la sortie nationale de « La patience de Mauricette » à l’Etablissement Public de Santé Mentale dans lequel Lucien Suel vient de passer un an en résidence d’écrivain.
Enfin j’ai l’occasion de saluer, hors le truchement du net, ce poète dont « La mort d'un jardinier »m’accompagne depuis des mois. Noir et blanc, il a troqué ses Doc Martens pour des tennis plus rockeuses. Mais c’est bien l’homme simple et chaleureux qui transparait dans le livre, cette œuvre lumineuse dont le mot « roman » résume mal les chorus poétiques. Ce livre singulier, sorte d’autobiographie tamisée dans la distanciation d’un tutoiement qui au plus menu scanne le travail du jardinier, débobine les rushes d’une vie qui lâche et projette la traversée que représente la mort, passage dont l’imagination anticipative pulse de magnifiques images traduisant particulièrement le talent de l’auteur.
Mais si cette œuvre nous touche profondément, c’est parce qu’on y sent battre à chaque page un cœur gros comme ça. Cœur d’un humain parmi ses frères, les pieds dans la terre et la réalité du monde. Un homme bien qui a gardé après 68, le tempo de la beat génération, refusant le robinet du matérialisme, tranchant dans l’uniformité, entretenant son lopin de résistance pour garder l’âme propre et disponible à l’altérité.
Au fil des pages miroir souvent de notre propre histoire, on retrouve les pulsations d’une génération qui rêvant de changer le monde n’a travaillé qu’à changer sa vie, émoussant ou trahissant, au passage, ses slogans idéaux. Alors les combats ou les contemplations du jardinier, ses saisons rythmées par l’amour, sa vie simple nous font simplement du bien. Mais ni naïveté ni facilité, on sait qu’il lui a fallu enfoncer soulever retourner, enfoncer soulever retourner pour ressembler à lui-même, à son rêve.
Et cette philosophie du jardinier c’est celle sans aucun doute de l’écrivain, celui qui se dit poète ordinaire pour mieux signifier que la poésie est immédiate et partout même si la langue doit être travaillée à l’arbraquette. Chaque page est un carré de terre où on récolte ce qu’il sème, ses mots à manger, à faire rouler dans la bouche comme une fraise une cerise un noyau de pêche. Chaque page nourrit l’émerveillement.


Son second opus « La patience de Mauricette », écrit lors de sa résidence littéraire à L’Etablissement Public de Santé Mentale d’Armentières, cultive beaucoup plus les plates-bandes du roman. Il nous lie à l’odyssée de Mauricette Beaussart( vieille complice de l’auteur), soudainement éclipsée de l’hôpital où elle était soignée. Au fil de la Lys, il nous entraine, sur les pas et dans les pensées de Christophe, un ami parti à sa recherche, dans le courant et les méandres de la vie tragique et bouleversante de cette fille de jardinier, ancienne institutrice, voyageuse rimbaldienne et semeuse de poèmes, dévorée par une culpabilité d’enfance qui régulièrement entame sa santé mentale. Et ce lien nous ne pouvons le rompre, tant cette femme mordue par le destin dont la langue fleurit ou titube nous prend le cœur. Un personnage criant la vérité d’une chair et d’une âme prises dans l’étau d’une destinée trop humaine qui nous met à vif nous faisant toucher la fragilité de toute vie et le gouffre si facilement ouvert quand son cours se retourne. Alors nous tournons les pages, toujours plus impatient de retrouver cette femme, on espère, enfin délivrée de sa torture et penchée sur la feuille blanche d’un poème. Mais suspense.
Lucien Suel dispose subtilement ses cartes. La construction du livre renforce aussi ce fort attachement à son héroïne. Il coupe-colle avec dextérité les ombres d’un passé voué à la vie simple de ces gens de terre, frères humains désolés par la guerre avec ses drames prenant l’enfance à la gorge, les quelques trouées de lumière de l’ascension sociale et des partages de l’écriture et les assombrissements des effondrements dépressifs qui conduisent régulièrement Mauricette dans les mains des gens de la santé mentale dont il rend avec beaucoup d’empathie l’humanité. Enfin il passe dans cet entrecroisement entre passé et présents le fil d’un très étonnant monologue repris au cahier jaune tenu par la patiente, son petit ring à cordes bleues. Monologue dont l’invention poétique nous subjugue.
Car nous retrouvons à la lecture de « La patience de Mauricette » tout le bonheur que nous avait donné « la mort d'un jardinier ». Bonheur de l’univers du jardinier poète épié par le rouge-gorge, bonheur de l’irrigation végétale qui baigne les pages, bonheur du compagnonnage retrouvé avec Christophe Tarkos, Verlaine, Rimbaud Delvaux Coltrane et bien d’autres.
Mais par-dessus tout bonheur de la langue. Lucien Suel reste avant tout un poète. Il a su créé pour Mauricette (Mauricette Beaussart, Retraitée de la Végétation Nationale), un langage noué à l’être apparemment emmêlé et de traviole mais en réalité plein de grâce et de succulence. Entre Oulipo et glossolalies d’un Artaud, il met à jour une langue qui nous émeut, nous traverse et nous interroge. Son battement très musical, tout en nous mettant à l’épreuve du dérobement nous ébranle profondément. Quelque part son étrangeté, ses incantations retournant le sens frappent directement au cœur. Lucien Suel a trouvé le langage du suprême amour.
Et nous comprenons, en refermant ce très beau livre que cette « âme en incandescence » sortant de la piscine de Jérôme Bosch pour nager dans l’océan s’apaisera en renaissant par les mots.

3 commentaires:

  1. Welcome back papa !
    Le blog nous manquait !

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  2. Et ce post est très beau !

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  3. Lé toujours la mon vieux compagnon de route...croyais que lété perdu dans un épais brouillard!!!Pendant que certains poussaient leurs ritournelles , il aiguisait son épée pour continuer a dénoncer les injustices et a préparer ses mots (maux ) poétiques !!!
    ps: que fait on pour notre page o mobile ???

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