mardi 19 juin 2012

Dans le jardin de mon père / 14 / jardin de papier





J’ai dû attendre quelques années avant de pouvoir, enfin, accoler un petit bout de terre à mon coin de table et alors, dans une évidente complémentarité, aller de mes rigoles de mots aux lignes poivrées des semis. Dès que j’ai évoqué l’idée d’un jardin, papa s’est immédiatement offert. Nous avons défriché, dessiné, labouré, ensemble, mon nouvel éden. Il m’a prodigué conseils et premiers plants. J’ai retrouvé, là, le jardinier de mon enfance. Celui qui tirait justification de ce labeur alchimique.
Alors mon gars comment sont tes fèves et tes tomates ? As-tu essayé mes haricots ? Jusqu’à sa fin, ce jardin a alimenté l’essentiel de nos courtes conversations. Sa transmission régulière de ses propres savoirs et graines de sagesse populaire le rendait fier. Mes réussites potagères le comblaient. Il portait, en apparence, beaucoup moins d’intérêt à mes productions littéraires. Il n’a jamais eu de mots pour mes plaquettes poétiques.
Ce que j’avais pensé de l’indifférence ressortait plutôt de la pudeur. Après sa mort, dans un agenda et son portefeuille, avec quelques pétales séchés, j’ai découvert soigneusement découpées dans le journal et pliées les différentes critiques de mes livres. Peut-être n’ai-je jamais su lui ouvrir aussi mon jardin de papier ?

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