jeudi 14 octobre 2010

Le domaine perdu




Meaulnes parti, je n’étais plus son compagnon d’aventures, le frère de ce chasseur de pistes ; je redevenais un gamin du bourg pareil aux autres…Noir et blanc de rentrée. Rangée grise des corps. C’est lui, sur la gauche, qu’on remet. L’adolescent dans sa cicatrice. L'épinglé, nuque au mur, qui regarde, derrière le soufflet, l’autre paroi. Lui figure murée.
Temps loin, très loin, mais on taira toujours que, dès ce moment, on n’est plus dans leur optique. On est sorti du cadre. On cherche la fente. Je m’étais persuadé qu’il avait dû rencontrer une jeune fille. Elle était sans doute infiniment plus belle que toute celle du pays, plus belle que Jeanne, qu’on apercevait dans le jardin des religieuses par le trou de la serrure.
Photo de septembre, gouge des visages. C’est lui, sur le côté, qu’on recouvre. L’adolescent au secret. L'inguérissable, qu’on a voulu invisible, qui fait face, derrière la dépoli, à la dévastation du ciel. Lui regard débusqué.
Jour loin, très loin, mais on taira toujours que, dès ce moment, on n’est plus dans leur mat. On est, au glacé du dortoir, dans la lumière au fond des pages, avec notre air de voyageur fatigué, affamé mais émerveillé. On échafaude mille ruses pour s' évanouir à la recherche du domaine perdu de la jeune fille blonde qui avait posé sur Meaulnes doucement ses yeux bleus, en tenant sa lèvre un peu mordue. On a le cœur qui bat les chemins.

1 commentaire:

  1. « Il arriva chez nous un dimanche de novembre 189... » Qui dira l’enchantement de cet « il était une fois… » pour des garçons bannis des verts paradis ? Les instantanés des rentrées scolaires ont figé à jamais leurs désespérances : même muet désarroi et même révolte rentrée dans les regards des complices prédestinés. Et le grand Meaulnes arriva… « Alors ce fut un rêve, comme son rêve de jadis ». S’esquiver enfin, divaguer sans raison, se perdre encore et encore dans le « pays sans nom » à la recherche du « domaine mystérieux ». Évasion initiatique mettant le cœur au bord des cils… « Et chaque fois, ce long cri sur les coteaux déserts me faisait tressaillir, comme si c’eût été la voix de Meaulnes me conviant à le suivre au loin… »

    « Je vous attendrai ». Cette promesse d’Yvonne de Galais à Augustin Meaulnes ruinait toutes les inculcations en réveillant des aspirations et des tendresses refoulées. Le compagnon révolté chuchotait à l’oreille fraternelle qu’un ailleurs autrement était possible. Ils ne savaient ni quand ni comment mais partaient éblouis dans des voyages imaginaires juste pour voir en rêve « passer des rangées de jeunes femmes qui ressemblaient à celle-ci ». Aumône à la liberté de fantasmer, la tristesse coutumière sacralisait ces échappées sacrilèges au bout d’horizons égarés. Ils se persuadaient « qu’il n’y avait plus maintenant que du bonheur à espérer ». C’était sûr, quelque part une jeune fille attendait. Ils évoquais inlassablement « son visage immobile, sa bouche un peu mordue, et ses yeux bleus [qui] regardaient fixement au loin ». Ainsi commença dans l’ivresse partagée l’aventure vers « le pays où l’on n’arrive jamais ». Chavirés, .les cœurs battaient… Là était l’essentiel...

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