A la suite de sa résidence d’écrivain entre les murs de l’hôpital psychiatrique d’Armentières, Lucien Suel avait écrit « La patience de Mauricette », son très beau deuxième roman.
Aujourd’hui il nous livre « D’azur et d’acier », très beau titre héraldique pour une œuvre poétique construite à partir d’une immersion littéraire à Fives, quartier de Lille qu’on appelait « l’usine », un poumon industriel de 17 ha, redevenu friche et en cours de reconversion. Dans l’acier et sous les verrières de Fives Cail Babcock, jusqu’à 6000 ouvriers ont forgé des milliers de locomotives, des rails, des ponts ferroviaires, des gares comme Orsay ou des tunneliers pour creuser la Manche. Et puis la machine économique est inexorablement venue enrayer la belle œuvre humaine. Le gain financier s’est mis dans les rouages et la classe ouvrière s’est retrouvée sur le carreau, expulsée de son histoire et de cette « usine » laissée à la rouille qu’on rouvre… pour les journées du patrimoine.
Pendant trois mois, Lucien Suel a arpenté ce lieu de joie et souffrance, questionné la mémoire sociale collective, collecté les sentiments des passants ordinaires, interrogé le passé du pavé, le présent du bitume comme le futur des lendemains. Inventorié même à la Depardon toute la friction des enseignes. Pendant trois mois il a posé des mots, sur des mots, fabriqué des briques de mots, en miroir du matériau local pour finalement bâtir son propre ouvrage mémorial, comme un chant mural à la gloire de ce territoire populaire où un certain Pierre Degeyter, câbleur fivois avait crée « l’internationale ». Lucien Suel n’est ni un ethnologue, ni un sociologue, ni un historien, c’est un poète qui ne relate pas mais monte tous petits ou grands faits en émotion. Qui ne lit pas les choses mais les voit. Qui ne montre pas l’espace mais l’habite. C’est un poète dont la langue donne un nouveau souffle à l’atmosphère, brique une belle âme au lieu. Dont le verbe maçonne toujours et toujours plus haut.
A noter si vous achetez le livre, un supplément audio à télécharger.
Lucien Suel lit une version ramassée et légèrement retouchée accompagné par les couleurs diatoniques de Laure Chailloux. On entend comme un long blues absolument déchirant galopant le long des cordes vocales.
éditions "La contre allée"
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