vendredi 5 février 2010

Prescription poétique/3


Des milliers de gens confessent écrire de la poésie. La poésie a ses Maisons. Elle noircit des centaines de revues plus ou moins éphémères qui font les beaux jours de noyaux de lecteurs et bâtissent de concurrentes chapelles. La poésie tient salons, s’étale dans les marchés. Elle fume dans les ateliers d’écriture. La poésie s’affiche dans un très officiel Printemps des poètes.
Pourtant, elle est boudée par des grands médias, journaux, radios ou télévisions. Pourtant, hormis les poètes eux-mêmes, elle est en disette de lecteurs. Aucun grand poète et l’hexagone en recense d’immenses bien vivants n’a la notoriété d’un grand romancier ni ne lustre les belles lucarnes des émissions littéraires. Puis-je ajouter qu’elle est très mal enseignée sauf souvent en primaire.
Alors, dans le fil de mes gaies humeurs précédentes, j’arrive à penser que des millions d’individus vivent ou plutôt survivent sans imaginer qu’ils ont à portée de leurs petites misères et grandes douleurs une étonnante et volumineuse richesse thérapeutique. Ah ! Quel chagrineux destin, quelle migraineuse circonvolution ! Quand l’abondante disposition poétique actuelle permet à chacun une automédication dont il peut abuser ! Car là, pas de posologie ; Le dépassement de la dose prescrite est même conseillé. On peut sans crainte croquer toute la plaquette. Pas de notion d’âge, de poids ou mesure. Gros ou petit, de sept à soixante dix-sept et plus, on peut soigner le mal par le mot sans compter même les pieds des vers, les boire jusqu’à l’ivresse. Car là pas d’effets collatéraux néfastes ou secondaires sinon de retrouver le goût du monde et l’appétit des autres.
D’aucuns mal ailés et par trop terre à terre m’objecteront que malgré les vignettes ornant certains ouvrages, la Sécurité sociale reste de marbre devant une telle dépense. Sans doute, mais c’est oublier le caractère durable quasi inusable même si l’on s’en sert de l’ouvrage qui peut même être prêté sans risque pour l’emprunteur sinon celui de devenir à son tour porteur du virus poétique.
Demeurer vivant en lisant les poètes avant qu’ils ne soient morts, quoi de plus roboratif !

Dois-je confesser que j’ai testé in vitro cette Poésie-thérapie. Tous les matins un poème, même quelques vers avant de prendre la route pour la tôle. Tous les matins ce grand bol de mots brûlants me donnant force tranquille ou force de rébellion au franchissement de l’engrisaillement du travail. Tout les matins ce verbe sur la langue m’empêchant de vomir.

J’ai peur d’un baiser
Comme d’une abeille
Je souffre et je veille
Sans me reposer :
J’ai peur d’un baiser !
..

Paul Verlaine


En ce temps-là j’étais en mon adolescence J’avais à peine seize ans et je ne me souvenais déjà plus De mon enfance J’étais à seize mille lieues du lieu de ma naissance J’étais à Moscou, dans la ville des mille et rois clochers et des Sept gares Et je n’avais pas assez des sept gares et des mille et trois tours Car mon adolescence était si ardente et si folle

Blaise Cendrars

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