vendredi 19 février 2010

Fin de la route



Dans ma dernière prescription poétique je me faisais l’écho d’une réflexion récurrente de Louis Dubost : lisez les poètes avant qu’ils ne soient morts. Cette formule pour rappeler, malgré l’ombre dans lesquels on maintient les poètes, que la poésie est plus que jamais vivante et vitale.

Aujourd’hui j’ai le cœur effondré pour dire : lisez et relisez Serge Wellens après sa mort. En effet Serge, né à Aulnay-sous-bois en 1927, vient de définitivement poser sa plume. Il habitait Marans au bord du canal avec Annie. Pendant des années il a aidé Annie dans sa librairie de La Rochelle « Le puits de Jacob ». Fils d’un homme aquarium et d’une trapéziste, Serge a choisi le fil des mots pour traverser une belle vie consacrée à la poésie. Belle vie dans le compagnonnage de l’école de Rochefort, des Rousselot, Bouhier, Bérimont, Béalu ou Manoll, dans l’amitié des Chaulot, Guillevic, Humeau, Follain, l’Anselme et tant d’autres, dans la complicité de revues comme Io ou Noah contribuant à l’émergence de nombre beaux poètes comme un Commère ou un Sacré. Belle vie en poèmes dont on retiendra J’écris pour te donner de mes nouvelles en 52, A la mémoire des vivants en 55, Les dieux existent en 66, la pâque dispersée en 81, La concordance des temps en 86, Les mots sont des chiens d’aveugle en 97, Il m’arrive d’oublier que je perds la mémoire en 2006.

Belle vie d’homme surtout. Serge était un grand humaniste, façonné par les voyages et guidé par un engagement toujours lucide. Il cultivait comme peu l’amitié, toujours souriant, attentif et encourageant. Très pudique il vous laissait l’aborder simplement dans les salons de poésie comme celui de La Rochelle ou Nantes, prenant le temps d’un échange toujours malicieusement teinté d’humour. C’était un poète de l’ordinaire des jours attentif à l’homme comme au scarabée écrivant : Chez les fourmis je suis un poète célèbre ou Qui tend l’oreille entend la rouille. Peut-être pour dire au mieux ce poète fraternel cet extrait évoquant son épouse dans « Ni le jardin de son éclat » : Annie, c’est peut-être à cela que nous nous sommes reconnus, à cette faculté de laisser au langage la bride sur le cou, d’abuser du droit de réinventer la vie, de raisonner par l’absurde contre la médiocrité et de trouver, en chaque éclat de rire, la preuve que nous avons raison.


Scarabée


Dans la carrosserie

D’un moins que rien de scarabée

Traînant dans moins que rien

Sa moins que rien de vie

La lune

Se trouve belle

Et tremble.


Extrait de « Les résidents » 1990



Dans l’été cruel


Des siècles qu’il n’a pas plu

Les pierres et la terre s’épousent

En leur incorruptible dureté

Mais

Il arrive qu’un oiseau

Planant au plus haut de son vol

Toutes plumes ouvertes

Traverse

L’insondable bleu d’un ciel sans couture

Et que ses ailes soient

Ne soient rien d’autre que

Les mains de Debussy

Fertiles déployées caressantes

Jouant jardins sous la pluie

Sous la pluie qui cire les pommes

Et donne à la soif

Ses innombrables noms d’emprunt.


Extrait de « Il m’arrive d’oublier que je perd la mémoire » 2006

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