jeudi 14 mars 2013

Mes mémoires en captivité / Dans le jardin de mon père.




Il avait titré ainsi les 32 feuillets au crayon de bois, trouvés à son décès. Leur fanage me contraint à la loupe. Du premier janvier au trois mai 1944, quatre mois de son déracinement à la frontière allemande. Vendredi 28 janvier : toute la journée nous continuons nos châssis. Journée pluvieuse. Le soir au lager rien de nouveau. Quatre mois de ses cinq mornes années de prisonnier de guerre, réquisitionné comme jardinier. J’ignore s’il avait consigné la totalité de ces jours perdus. Courts versets de l‘existence de ce jeune paysan enlevé à ses journaux de terre.
Jeudi 13 avril : après avoir arrosé mes châssis, je plante des salades toute la journée. Il a fait une belle journée. Le soir au lager je touche une carte de MJ du 14 mars. Il ne dit pas je reçois mais je touche évoquant ce courrier envoyé, un mois auparavant, par Marie-Joséphine, ma mère. Je le vois, alors qu’il écrit ce je touche, longuement caresser les mots de celle qui l’a suppléé dans le jardin qui jouxte la ferme. Je le vois promener le nez sur la peau de sa chère terre. Alors si loin et si proche dans leur continuité de gestes.
Ils laisseront leurs champs quelques mois après sa libération. Pour se gager en ville chez un ancien huissier, elle à la cuisine, lui au jardin. Il refermera définitivement cet exil. Jamais ne m’en touchera un mot. Lui échappera seulement, pendant soixante ans, le péjoratif boche.



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