samedi 26 juin 2010
Enfin Suel
Quand tu es dans le jardin, tu considères les saisons comme les chapitres d’un livre familier que tu relis régulièrement, chaque année tu écris de nouvelles pages dans la terre du jardin, tu rédiges des brouillons successifs, tu élagues, tu mets au propre, tu relis tu déchires, tu chiffonnes des boules de papier, tu jettes au fumier, tu recommences, l’écriture te nourrit, tu rédiges les versets de la terre, tu graves dans la glaise, ton corps est ton dernier volume, les rides et les cicatrices, les plis et les replis, les bosses et les creux racontent ton histoire et celle de tes frères…
La vie est pleine de mystères, tu n’as pas besoin de croire aux soucoupes volants, il te suffit de considérer la levée d’un semis de cornichons pour être plongé dans des abîme de perplexité…
Tu es partagé entre doute et confiance, entre chèvre et chou, entre chair et poisson, entre foi et raison, entre cave et grenier, pourtant toute ta vie tu as cherché à recréer l’unité, tu en as du moins donné l’impression, tu n’as plus maintenant que la terre et toi à réunir…
Tu aimes manger les mots, les faire rouler dans ta bouche, comme une fraise une cerise ou un noyau de pêche ou d’abricot, tu aimes aussi les découper les charcuter et les coller ensemble…
Tu bêches à reculons en évitant d’écraser les œilletons, un travail précis, un raccord de peintre, tu inventories toute les analogies qui te viennent à l’esprit, l’aller et retour du chariot de la machine à écrire, la frappe de l’imprimante à aiguilles, l’écriture, le tissage, fil de chaîne fil de trame, le quadrillage, les mots croisés sur la terre, la gravure, les mots bruissent continuellement, tourbillonnent entre tes oreilles autour de ton crâne, tes yeux enregistrent, nomment, évaluent, ta mémoire tourne à plein régime, ton corps est machinal mais tes pensées fusent en tous sens dans une anarchie vivante et joyeuse…
Avant mon silence d’été, voici ces quelques mots cueillis au jardin de Lucien Suel, entre fraises, framboises et pommes de terre en fleurs. Quelques mots de « Mort d’un Jardinier » paru fin 2008 et qui sort en poche le premier juillet.
Si vous cherchez une lecture pour vos longues soirées de douceur, voilà l’œuvre d’un sourcier, inépuisable. Voilà un livre d’île à garder précieusement à portée de la main. Un livre de chemin amené à se polir sous l’appui. Cardiographie d’un destin personnel c’est aussi l’inscription miraculeusement poétique de toute vie dans le réel.
Par ces temps de désenchantement grossi par les tessons des lucarnes, où l’œil possédé cherche fortune dans les leurres naturels des psycho-rebouteux, ouvrez grand les pages de cet alchimiste de l’ordinaire, de la vie simple et artésienne. Si l’humain vous laisse sur votre faim, dégustez ses jardinages de terre et de papier, écritures complémentaires pour creuser la nuit et laisser sur l’âme quelques trainées de lumière.
Si vous voulez trouver harmonie de battement entre le monde et vous, laissez-vous gagner par la pulsation d’une langue, le tempo d’un phrasé, les couleurs d’un rythme, les pierre roulantes d’un piano zébrées par les coups de lune d’un sax.
C’est de l’amour tout chaud qui vous tombe dans le bec.
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