mardi 22 décembre 2009

L'identité au faciès

Décidemment Sarko éclatera dans l’Histoire comme l’Iznogoud le plus malhabile, spécialiste du retour d’arrosage et de flamme, sans doute victime des âneries de ses conseillers thuriféraires plus courtisans que stratèges médiatiques, mais aussi de sa soif inextinguible de pouvoir qui l’entraîne en permanence dans des postures ridicules de bonimenteur et des calculs de boutiquier populiste. Ainsi ce débat sur l’identité nationale pompé sur l’exemple mitterrandien qui en d’autre temps, en soulevant le couvercle de l’immigration, avait mis le FN dans les pattes électorales de la droite, qui, lentement, se retourne contre le pompier pyromane. Non seulement, à travers cette sordide utilisation de l’Histoire, Sarko ne va pas gonfler son bas électoral, mais plutôt remettre en selle Marine et sa bande de joyeux bouffeurs de beurs. Le diabolique calcul mitterrandien avait privé jadis Jospin d’un second tour. Le stratagème sarkosien devrait paradoxalement assurer un bon résultat à la Gauche aux régionales, sauf qu’à l’occasion le FN va retrouver de belles couleurs nationalistes. Car on perçoit bien, à l’occasion des débats, que l’immigration est au cœur des échanges autour de l’identité nationale. C’est un débat sur l’identité au faciès. Quand Nadine Morano, fustige le parler verlan ou le port de la casquette à l’envers, la cible de son regard ne fait aucun doute. Et malgré ses dénégations, elle place bien le débat sur le jugement d’une image extérieure partagée par une communauté. Comment ne pas penser à l’image surannée de la baguette et du béret, la bien française…Mais parler verlan, par identification à un groupe, comme d’autres bien blancs parlent argot, n’indique en rien que le locuteur n’est pas capable de s’exprimer en parfait français. En parfait Français ? 50% des Français souhaitent l’arrêt de ce déballage, les pétitions se multiplient à ce sujet, gageons que notre Iznogoud préférera creuser sa fange.

Pour le plaisir :

Lettre de Mouloud Baubérot à Nicolas Sarkozy

12/12/2009

Cher Nicolas, Mon cher compatriote,

Tu as écrit une tribune dans Le Monde (9 décembre) qui a retenu toute mon attention. En effet, tu t’adresse à tes « compatriotes musulmans », et c’est mon cas, moi Mouloud Baubérot, frère siamois de celui qui tient ce blog.
Comme une lettre ne doit pas rester sans réponse, alors j’ai décidé, à mon tour de t’écrire. Après tout, toi aussi tu es mon « compatriote ». Et puis, comme je suis professeur d’histoire en terminale, j’ai l’habitude de corriger des copies.

Nous allons le voir, il y a plein de belles idées dans la tienne, et je vais pouvoir te citer souvent.
Mais tu as commis une légère erreur de perspective, qui gâche un peu ton propos. Et comme cela vous concerne en particulier ton frère siamois et toi, permets-moi de la rectifier.

Avant, par politesse, il faut que je me présente très brièvement. Ma famille provient de Constantine, ville française depuis 1834 et chef-lieu d’un département français depuis 1848. Nous sommes donc d’anciens Français.
D’autres nous ont rejoints peu de temps après et sont devenus Français, en 1860, tel les Niçois et les Savoyards. Nous avons intégré volontiers ces "nouveaux arrivants" et avons ajouté la pizza à nos coutumes alimentaires.

Et au siècle suivant, d’autres sont encore venus. Certains de l’Europe centrale, bien différente de notre civilisation méditerranéenne. Mais, comme tu l’écris très bien, nous sommes très « accueillants », nous autres.
Alors nous avons donc accueilli parmi eux, un certain Paul Sarkozy de Nagy-Bosca, qui fuyait l’avancée de l’Armée Rouge en 1944.
Nous sommes tellement « accueillants » que nous avons fait de son fils, ton frère siamois, immigré de la seconde génération, un Président de notre belle République.
Comment être plus accueillant ?

Mais il ne faudrait quand même pas tout confondre : entre lui et moi vois-tu, c’est moi qui accueille, et lui qui est accueilli. Ne l’oublie pas.

Ceci précisé, je suis tout à fait d’accord avec ce que tu écris :
Moi, Mouloud, l’accueillant, j’offre à ton frère siamois et à toi-même, « la reconnaissance de ce que l’autre peut lui apporter ». Mais je demande, à « celui qui arrive, le respect de ce qui était là avant vous »
Et, je vais y revenir, quand les Sarkozy sont devenus Français, le ciel de Paris s’ornait d’une Grande Mosquée, avec un beau minaret.

Je suis d’accord, moi Mouloud qui t’accueille, je dois te faire « l’offre de partager (mon) héritage, (mon) histoire [y compris en classe de terminale], (ma) civilisation), (mon) art de vivre. »
Tiens, je t’invite volontiers à manger un couscous avec moi.

Mais, naturellement, toi « qui arrives », ou toi dont c’est juste le père qui est arrivé, je te demande, comme tu l’écris toi-même, d’avoir « la volonté de (t)’inscrire sans brutalité, comme naturellement, dans cette société que (tu vas) contribuer à transformer, dans cette histoire que (tu vas) désormais contribuer à écrire. »

« Sans brutalité » : tu as bien raison, c’est important ça.
Nous, anciens Français, nous ne jouons pas au matamore, au « tu causes tu causes, c’est tout ce que tu sais faire » ; nous n’aimons pas trop tout ce qui est « bling-bling ».
Nous aimons, tu le soulignes, « l’humble discrétion » et nous comptons sur toi pour être exemplaire dans ce domaine.
Nous comptons sur toi, pour, comme tu affirmes que cela doit être le cas des « nouveaux arrivants », de te « garder de toute ostentation et de toute provocation ».
Car, toi dont le père a fui le totalitarisme, tu dois être bien « conscient de la chance que (tu as) de vivre sur une terre de liberté ».

Contrairement à moi, puisque tu n’es en France que depuis une seule génération, tu as encore beaucoup de choses à apprendre quant aux « valeurs de la République (qui) sont partie intégrante de notre identité nationale ».
Vu ta fonction, il faut que tu l’apprennes vite car « tout ce qui pourrait apparaître comme un défi lancé à cet héritage et à ces valeurs condamnerait à l’échec. »
Mais, je ne suis pas inquiet : tu es très doué
Donc, il suffit que je te précise un peu les choses, notamment sur la laïcité dont je parle souvent à mes élèves dans mes cours de terminale, et tu obtiendras une brillante note.

D’abord, la laïcité, ce n’est nullement « la séparation du temporel et du spirituel » comme tu l’écris.
Cette expression, elle fleure le Moyen Age, la société de chrétienté, bref l’exact contraire de la société laïque.
Comme tu as publié ta tribune le 9 décembre, jour anniversaire de la « séparation des Églises et de l’État », ta formule est particulièrement malheureuse.
Le « spirituel » et le « temporel », ce sont des notions théologiques, et cela connotait des pouvoirs.
La lutte de l’Empereur et du Pape, c’était la lutte du « pouvoir temporel » pour s’imposer face au « pouvoir spirituel ». Deux souverainetés.
En laïcité, seul « le peuple » est souverain, et donc le seul « pouvoir » est le pouvoir politique qui émane de lui. Le pouvoir, écrit Max Weber, a « le monopole de la violence légitime » : il peut réprimer par la loi.
La religion n’est pas sur le même plan. Et peut avoir, elle, autorité, si on est convaincu de sa validité.
Mais elle ne doit pas disposer de pouvoir.

Bon, la première leçon étant apprise, passons à la seconde.
Elle concerne aussi la laïcité.
Tu fais preuve d'une curieuse obsession des minarets et tu sembles assez ignorant à ce sujet.
Pour être concret, je vais te raconter l’histoire de France en la reliant à ma propre histoire d’ancien Français, du temps où toi, tu ne l’étais pas encore.
Pendant la guerre 1914-1918, mon arrière grand-père est mort au front, comme, malheureusement, beaucoup de Français, de diverses régions : Algérie, Savoie, ou Limousin, « petite patrie » de mon frère siamois.
Mais si je te raconte cela, ce n’est pas pour me cantonner dans la petite histoire, celle de ma famille, c’est pour rappeler l’Histoire tout court.
Car nous avons été environ 100 000, oui cent mille, musulmans a mourir au combat pour la France.
Nous étions déjà tellement « arrivés » en France, que nous y sommes morts !

Ces combats avaient lieu dans cette partie de la France appelée « métropole ». Ma famille y était venue, à cette occasion, et elle y est restée. A Paris, précisément.
Comme nous commencions à être assez nombreux, et provenant, outre la France, de différents pays, la République laïque a eu une très bonne idée : construire une mosquée, avec un beau minaret bien sûr.
Elle avait décidé, en 1905, de « garantir le libre exercice du culte » (Article I de la loi de séparation).
« Garantir », c’est plus que respecter. C’est prendre les dispositions nécessaires pour assurer son bon fonctionnement.

Pourquoi passes-tu tant de temps, dans ton texte, à nous parler des minarets ?
Cela n’a vraiment pas été un problème. Bien au contraire.
Et pourtant, ils étaient très laïques, tu sais, plus laïques que toi, mon chanoine, les "rad’soc" (radicaux-socialistes), les Édouard Herriot, ou Léon Bourgeois (un des « pères » de la morale laïque) qui ont pris la décision de consacrer des fonds publics à la construction de cette mosquée, de ce minaret.

Tu sais, j’aime bien fréquenter les bibliothèques. J’y ai trouvé un ouvrage d’un historien qui retrace l’histoire de cette construction. Et c’est fort intéressant.
« Il est à remarquer, écrit son auteur, Alain Boyer, que personne n’a soulevé à l’époque le problème de la compatibilité de cette subvention avec l’article 2 de la loi de 1905, concernant la séparation des Églises et de l’État qui dispose que la République ne reconnaît ni ne subventionne aucun culte ; il aurait pu d’ailleurs être répondu que l’État ne finançait que la partie culturelle, l’institut, et non pas la mosquée proprement dite, c'est-à-dire le lieu de culte. »

« Il aurait pu être répondu» :
Donc c’est plus tard que l’on a justifié ainsi les subventions de l’État et de la ville de Paris. Sur le moment, on s’est contenté de trouver cette construction nullement incompatible avec la loi de séparation.
C’est ce que l’on appelle une rationalisation a posteriori.

Vois-tu, comme moi aussi je suis historien, je me permets une autre interprétation, qui me semble fort plausible.
On a aussi raisonné par analogie : en effet la conséquence de l’article 1 de la loi de 1905, de sa garantie du libre exercice des cultes avait été double :
- d’une part la mise à disposition gracieuse (donc manque à gagner par absence de loyer) des édifices du culte existants en 1905 et propriété publique (des milliers et des milliers !), mise à disposition aux religions correspondantes à ces édifices (et on y a ajouté presque tout de suite le droit de faire des réparations sur fonds publics) ;
- d’autre part, la possibilité (prévue dans l’article 2 lui-même) de payer des aumôniers pour garantir le libre exercice du culte dans les lieux clos : hôpitaux, prisons, armée, internats des lycées,…

On s’est dit : étant donné tout ce que l’on consent financièrement pour garantir l’exercice des cultes catholique, juif, protestant, c’est bien le moins de donner des subventions publiques pour une Grande mosquée et son minaret.
D’ailleurs le père de la loi de 1905 Aristide Briand avait dit à son propos : « En cas de silence des textes ou de doute sur leur portée, c’est la solution libérale qui sera la plus conforme à la pensée du législateur. »


De plus, et je vais t’étonner Nicolas, les laïques, ils aimaient bien les minarets.
Quand on a posé la 1ère pierre de la mosquée, le maréchal Lyautey a fait un très beau discours. Il a déclaré :
« Quand s’érigera le minaret que vous allez construire, il ne montera vers le beau ciel de l’Ile de France qu’une prière de plus dont les tours catholiques de Notre-Dame ne seront point jalouses. »
Et tous les dirigeants et militants laïques présents l’ont chaleureusement applaudi.

Ils étaient comme cela les laïques : ils assumaient, mais ne voulaient pas « valoriser » les « racines chrétiennes de la France ».
Ils estimaient, au contraire, que le pluralisme religieux faisait partie de son histoire, de son identité nationale laïque.
Et plus il y avait de prières différentes, plus ils étaient contents.

J’ai plein d’autres choses à t’écrire à propos de ton discours. Mais la bonne pédagogie veut que l’on ne cherche pas à en dire trop en une seule fois.
Pour le moment, assimile bien ces deux premières leçons.
Écris-nous vite une seconde tribune qui rectifie le tir.
Et on reviendra ensuite sur le « communautarisme » notamment, car la (en un seul mot ?) il y a aussi quelques petites choses à reprendre.


Ton cher compatriote
Mouloud Baubérot

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