Enfant, j’aimais ce moment où les mains maternelles
venaient me soulever légèrement pour tendre draps et couverture sous le
matelas, tapoter, l’hiver, le gros édredon grenat. C’était un geste rare, le
soir des gros rhumes ou des petites maladies. Le soir des bouillottes ou
briques brûlantes glissées au fond du lit.
La terre, alors pouvait se retourner, m’entraîner dans son manège
d’étoiles. Je ne craignais rien. J’étais
bordé. Je pouvais naviguer ohé, ohé sur la voie lactée.
La maison tournait autour de maman. Après Dieu, elle
était seul maître à bord. La couturière, qui ourlait sur sa Singer ses façons,
coupait en deux le monde. Ceux qui lustraient les bancs de l’église et les
autres qui ciraient l’acajou du bistro les jours de mise en bière. Elle disait
traçant une ligne infranchissable, susceptible d’aucune élasticité, sous peine
d’une chute infernale, mais donnant à la vie un goût de funambulisme :
« On n’est pas du même bord ».
Sorte d’anathème évidemment fort peu chrétien,
décourageant, malgré l’ombre du commandement, d’aimer le prochain comme
soi-même, mais qui permettait de délimiter un front et de solidariser une
communauté en identifiant les forces ennemies. Ainsi les rouges pour lesquels
elle avait la main large trouvant au
radical le plus tiède honorant les travées épiscopales à Noël ou à
Pâques des humeurs consanguines avec le coco reconnu..
L’ivraie de gauche, en résumé, qui mettait ses mioches
à la Laïque. Quand
le bon grain évidemment grossissait l’école libre, comme elle disait, l’école
des curés pour l’autre camp. J’allais donc au Sacré-cœur éprouver sa blouse grise au noir pupitre aux deux
encriers et mon cœur de porcelaine au celluloïd des frères dits de
Saint-Gabriel. Ma crainte alors, au retour, était d’être entraîné dans une
guerre des marrons par une troupe de l’autre bord.
sculpture en papier mâché de Camelus.
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