mardi 9 décembre 2014

On n’est pas du même bord








 



Enfant, j’aimais ce moment où les mains maternelles venaient me soulever légèrement pour tendre draps et couverture sous le matelas, tapoter, l’hiver, le gros édredon grenat. C’était un geste rare, le soir des gros rhumes ou des petites maladies. Le soir des bouillottes ou briques brûlantes glissées au fond du lit.  La terre, alors pouvait se retourner, m’entraîner dans son manège d’étoiles. Je ne craignais rien. J’étais  bordé. Je pouvais naviguer ohé, ohé sur la voie lactée.
La maison tournait autour de maman. Après Dieu, elle était seul maître à bord. La couturière, qui ourlait sur sa Singer ses façons, coupait en deux le monde. Ceux qui lustraient les bancs de l’église et les autres qui ciraient l’acajou du bistro les jours de mise en bière. Elle disait traçant une ligne infranchissable, susceptible d’aucune élasticité, sous peine d’une chute infernale, mais donnant à la vie un goût de funambulisme : « On n’est pas du même bord ».
Sorte d’anathème évidemment fort peu chrétien, décourageant, malgré l’ombre du commandement, d’aimer le prochain comme soi-même, mais qui permettait de délimiter un front et de solidariser une communauté en identifiant les forces ennemies. Ainsi les rouges pour lesquels elle avait la main large trouvant au  radical le plus tiède honorant les travées épiscopales à Noël ou à Pâques des humeurs consanguines avec le coco reconnu..
L’ivraie de gauche, en résumé, qui mettait ses mioches à la Laïque. Quand le bon grain évidemment grossissait l’école libre, comme elle disait, l’école des curés pour l’autre camp. J’allais donc au Sacré-cœur éprouver sa blouse grise au noir pupitre aux deux encriers et mon cœur de porcelaine au celluloïd des frères dits de Saint-Gabriel. Ma crainte alors, au retour, était d’être entraîné dans une guerre des marrons par une troupe de l’autre bord.


 sculpture en papier mâché de Camelus.







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