jeudi 12 décembre 2013

J’ai 11 ans / 17/





Le car nous a laissé sur une place hérissée de clochers parmi quelques arondes, dauphines et 403. Je traîne derrière Maman qui serre la valise familiale marron qui, avec les années, deviendra ma valise avec mon nom crayonné au bic rouge sur l’intérieur écossais. Les lourds battants d’un porche franchis puis les fers lancéolés d’une grille blanche, nous butons au seuil d’un large rectangle, la cour des petits, apprendrais-je dès le soir, les petits désignant les sixièmes et cinquièmes, un temps cloués, surpris, sans doute, l’un et l’autre pareillement, par la masse intimidante et sourde des façades, nous enserrant soudain et jetant à nos yeux les reflets de dizaines de vitres et vitraux. Un camaïeu de gris sales de l’ardoise éteinte au crépi âgé. Seule perçant cette dévorante grisaille, une galerie vitrée courant tout le long du bâtiment central, m’évoquant avec ses piliers forgés comme une sorte de verrière ferroviaire.
Sur les consignes d’accueil, nous obliquons vers le bâtiment de gauche, pour gravir vers le second étage, derrière d’autres valises, d’autres mamans, d’autres enfants tête baissée, les degrés de pierre d’un large escalier en colimaçon. Alternativement j’agrippe les barreaux noirs et froids et la rampe lustrée pour hisser un petit corps dont le cœur trébuche. Je monte vers le dortoir scrutant furtivement les expressions des familles qui redescendent et surtout les visages de mes futurs camarades d’écrou. Mais je ne croise que la figure fuyante, intimidée et soucieuse de petits endimanchés emboîtant les jupes quand j’aurais été rasséréné de voir l’un d’eux dévaler joyeusement les marches.
Mais je comprends, à l’entrée du dortoir, qu’ils descendent avec la première vision de cette pièce démesurée où s’alignent quatre rangées d’une vingtaine de lits de fer, opposés pied à pied de chaque côté d’une allée tracée par l’étroit chemin d’un tapis usé et fixé sur le parquet noirci, la première vision de chaque couchage recouvert de la même cotonnade frangée aux ramages stylisés et séparé de l’autre par une petite armoire de bois blanc ciré à un tiroir et deux portes. Mais je comprends, devant cet ensemble, qui leur a peut-être évoqué des images de salles communes d’hôpital ou de chambrées militaires, qu’ils redescendent avec ce sentiment d’arrachement de la chambre familiale et d’embarquement dans une solitude et un engloutissement collectif qui, à cet instant, m’étreint.

4 commentaires:

  1. J'étais dans cette cohorte pénitentiaire, ce même jour...

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  2. j'espère que vous allez continuer............car ce n'est pas fini..

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    1. bien sûr mais la suite n'appartient pas au blog mais à un futur éditeur.

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