dimanche 7 mars 2010

Les versets de la bière


Non filtrée, Hoegarden Grand Cru est refermentée en bouteille. Elle y développe une couleur pêche voilée, un arôme velouté, une douce saveur en nuances subtiles. Conservez cette bière vivante dans un endroit sombre, de préférence sur pied. Servez à 6° C.

J’ai sur la table le dernier Lucien Suel aux éditions Le dernier télégramme, « Les versets de la bière » et déjà je salive. Bien calé dans la moleskine, je plonge d’abord le nez puis l’œil, enfin les lèvres dans la mousse. Je commence lentement à déguster. C’est un objet particulier, journal de bord d’écumes d’un poète, avec ses fragments de vie et ses briques d’aphorismes. Un objet à la Suel, patiemment composé avec ses contraintes numériques équilibrant belle longueur en bouche.

156 pages pour brasser vingt ans. Alors chaque année est cristallisée en quelques notations autobiographiques et relevés de sentences, sorte de brèves de bière existentielles. Car le fin amateur de cet élixir de derrière les houblons nous entraine aussi dans une douce euphorie poétique simplement dans la déclinaison gourmande des nombreuses variétés qu’il décapsule au fil de ses versets.

Tongerlo blonde : une bière aux teintes cuivrées, à l’arôme de miel, moelleuse et pleine de saveur, douce en fin de bouche. Ingrédients : eau, malt d’orge, maïs, houblon, sucres, levures, épices. Refermentée en bouteille, bière d’abbaye, Anno1133.

Pour son bloc autobiographique, Lucien Suel a fait le choix des petits silex migrateurs de son chemin poétique, laissant sur le côté les sillons d’une vie intime déjà légèrement entrouverts dans son premier roman par le truchement du jardinier : Année 1987, matière créée par la forme. Amour créant le monde. Poésie et action. Ivar Ch’Vavar me demande un poème en hommage à Benoît Labre…1989, lancement de la revue « Moue de veau », revue dada de déchets…1991, je suis tristement moderne, ça m’amuse. « Prose du ver » avec des illustrations de Dominique Leblanc…1994, longue discussion avec le peintre Gareth Davies. Rencontre avec Christophe Tarkos…1996, lecture du roman de Jouve « Paulina 1880 »… 2003, je commence à écrire « Mort d’un jardinier »…quelques extraits significatifs de son parcours où il nous livre l’essentiel de ses jardinages d’encre, de ses rencontres poétiques, de ses lectures, de ses dérives littéraires, de ses interventions musicales, nous permettant de saisir l’intensité de sa démarche créative.

Cette bière se nomme la Choulette comme la balle de bois utilisée jadis dans le jeu de crosse, un des nombreux jeux traditionnels du Nord de la France. A une température de 10°, vous découvrirez la finesse de son amertume.

Le bloc « aphoristique » éclaire l’homme celui qui trempe son doigt dans la terre. On est dans le jardin profond de celui qui écrit : Le jardin exprime le désir humain de vivre au centre du monde, au cœur de la réalité. On y côtoie le moraliste, le résistant, le poète. On y entend celui qui descend au fond de l’existence bien armé d’humour noir ou absurde. Celui qui écrit : Je marche vite : la joie et la création sont mes deux jambes ou je suis serviteur de l’imaginaire et de ceux qui le servent. Alors on se régale à ce genre de formules : La terre tourne dans le sens du vent…L’ombre du journaliste couvre l’évènement…Le renard est rusé comme un homme…On vocifère dans le consensus…Solidarité internationale :Les fruits de la croissance et du pillage du tiers-monde doivent être répartis équitablement…On milite pour un monde plus chose…On adopte un point de vue extraordinaire…Je vis une époque de barbarie réfléchie…Plus les gens sont libres plus ils font la même chose…Un griot ne mange pas nécessairement des cerises…La poésie doit être faite par toux non par éternuement…Il est plus tard qu’on ne pense…

Brugse Tripel, bière vivante refermentée en bouteille. La triple de Bruges est la bière des Brugeois par excellence. Caractère malté bien trempé, touche de houblon parfumé, grande complexité de goût. La déguster vous fait découvrir le côté raffiné de Bruges.

Vous l’avez compris, ce livre original charpenté pour la soif, offre le plaisir des grands crus.

1 commentaire:

  1. Cher Jean-Pierre, c'est un vrai bonheur pour un auteur de rencontrer un lecteur comme toi... Je lève mon verre à ta santé et à ton humanité.
    J'ai passé l'après-midi en Belgique à Abeele, chez M. Cuvelier, la ferme et magasin où j'achète ma bière (pour cette fois : Hommelbier, Hapkin, Queue de charrue, Saint-Feuillien et Saint-Benoît), puis au Mont Noir dans les serres pour le plant d'échalotes.
    Ce soir, les oies sauvages qui étaient passées en décembre, descendant vers le sud, sont passées de nouveau au-dessus de la maison. Nous avons tout de suite reconnu leurs cris et sommes sortis : superbe double V dans le ciel, en route vers le nord. Enfin l'hiver se termine.
    Amitiés du jardinier.

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